LE FIN MOT

Un seul mot vous manque...

Timbrés de l'orthographe n° 18
janvier 2017

... et tout est déformé ! L'actualité nous en fournit un nouvel exemple, pour peu qu'il en soit besoin.

Mercredi 9 novembre. Le monde entier se réveille avec une solide gueule de bois. Déjouant tous les pronostics, le milliardaire Donald Trump devient le quarante-cinquième président des États-Unis. Dans la soirée, nos chaînes de télévision reviennent à l'envi sur ce qui est ressenti par beaucoup comme un authentique séisme politique. Le vingt heures de France 2 ne fait évidemment pas exception à la règle, les capitales des pays qui comptent sur l'échiquier international étant sondées l'une après l'autre.

Quand vient le tour de Pékin, David Pujadas laisse d'abord entendre que l'enthousiasme doit y être moindre qu'à Moscou, eu égard aux propos très durs que le candidat républicain a tenus, durant la campagne, à l'endroit de Chinois accusés, rien de moins, de comploter contre les États-Unis. Il serait même allé, rappelle-t-il, jusqu'à brandir la menace d'une véritable guerre économique, en annonçant qu'il n'hésiterait pas à taxer lourdement leurs produits.

Le correspondant qu'il interroge se montre pourtant plus mesuré. Certes, concède-t-il, l'inquiétude est réelle sur ce terrain-là. Malgré tout, les dirigeants chinois, qui sont réputés pour leur pragmatisme, s'adapteront à cette nouvelle donne. D'autant, nous explique-t-on, qu'ils auront en revanche tout à gagner, sur le plan international, d'un prévisible désengagement d'Oncle Sam : « Ils attendent avec impatience la politique de repli prônée par Donald Trump qui veut fermer des bases américaines en Corée ou au Japon, laissant les Chinois maîtres du jeu en Asie. »

«  Et ça, conclut notre correspondant, ça n'est pas sans leur déplaire ! »

Quelque chose nous dit qu'un « pour » eût bien mieux convenu au sens que ce « sans » qui, à y regarder de près, vient ruiner toute la démonstration qui précède. Mais cela illustre une fois de plus la propension du Français à compliquer ce qui est simple en multipliant des négations au milieu desquelles il s'égare plus souvent qu'à son tour : « ne pas être », « sans » et « déplaire », voilà trois éléments négatifs qui, en toute logique, se réduisent à un seul, ce qui est encore trop pour un paragraphe à tonalité positive, censé traduire les avantages que trouveraient les Chinois à une présidence Trump ! Au demeurant, qui peut se targuer de ne s'être jamais laissé aller à un « Vous n'êtes pas sans ignorer » que l'on voulait aimable alors qu'il est surtout offensant ? On entendait s'attirer les bonnes grâces de son interlocuteur en soulignant sa culture, on ne fait au contraire que dénoncer son ignorance...

Une mésaventure qu'a connue un ancien ministre de l'Éducation nationale, grand dégraisseur de mammouths devant l'Éternel, un jour où il avait cru devoir se prévaloir de son expérience pour donner un avis qu'on ne lui demandait pas : « Ayant passé trois ans de ma vie comme ministre à m'occuper d'un système éducatif dans lequel j'ai baigné depuis mon enfance, devait-il déclarer à l'hebdomadaire "Le Point", je ne suis peut-être pas le moins mal placé pour faire quelques commentaires. »

La modestie, fût-elle fausse, c'est bien. En l'occurrence, c'était surtout trop !

 

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