LE FIN MOT

Attention :
un char peut en cacher un autre !

Timbrés de l'orthographe n° 17
septembre 2016

Voici revenus ces temps bénis des dieux où nous allons entendre de jolies choses sur la langue française, son universalité, son rayonnement, ainsi que sur l'absolue nécessité — croix de bois, croix de fer (si je mens, je vais en enfer) — de la défendre bec et ongles contre les avanies que l'infortunée essuie de toutes parts.

Bruno Le Maire a déjà commencé. La main sur le cœur, des trémolos dans la voix, il s'interroge à la cantonade : « Comment avons-nous pu abandonner à ce point la langue française ? C'est une bataille pour l'unité de la nation. » On l'aurait presque cru. Mais ça, c'était avant.

Avant que Nicolas Sarkozy, dans le sublime discours qu'il prononça à Caen en mars 2007, ne nous arrache presque des larmes en martelant : « Nous avons le devoir pour nos enfants, pour l'avenir de la civilisation mondiale, pour la défense d'une certaine idée de l'homme, de promouvoir la langue française. » Et l'intéressé d'ajouter, pour faire bonne mesure : « Je veillerai à ce que dans les entreprises installées sur le territoire français la langue de travail soit le français dès lors qu'il n'y a aucune nécessité économique ou commerciale qui oblige à s'exprimer dans une autre langue. »

Avant que Hollande ne nous fasse à son tour le coup du père François cinq ans plus tard : « La République indivisible, c'est celle qui est fière de sa langue : la langue française. » N'allait-il pas, dans la foulée, déclarer devant la communauté française de Rome que chaque Français devait parler la langue française, où qu'il se situât ?

Or qu'avons-nous vu, une fois que l'un et l'autre ont été portés à la magistrature suprême ? Rien. Ou plutôt si. Le premier a nommé aux Finances Christine Lagarde (« Christine The Guard », l'avait-on surnommée à Bercy afin de moquer le zèle qu'elle déployait à communiquer avec ses services en anglais) ; à l'Éducation nationale Xavier Darcos, dont l'ambition déclarée était de faire de la France une « nation bilingue » ; à l'Enseignement supérieur Valérie Pécresse, qui, voyant dans le français une « langue en déclin », n'eut rien de plus pressé que de rendre obligatoire l'enseignement intensif de la langue anglaise dans les universités françaises ; aux Affaires étrangères l'inénarrable Bernard Kouchner, lequel sera parvenu à écrire sans rire que l'anglais était l'avenir de la francophonie et, sans nous faire rire, que « même riche d'incomparables potentiels, la langue française n'[était] pas indispensable » !

Quant au second, il a laissé, lui président, sa propre ministre de la Recherche, Geneviève Fioraso, déposer à l'Assemblée un projet de loi visant à réduire un peu plus encore l'usage du français au sein de nos propres facultés.

Autant dire qu'on ne risque plus de nous la faire, et que grande est la tentation, à l'heure où triomphe sur les écrans un nouveau Ben-Hur, de leur demander à tous... d'arrêter leur char ! Pas le quadrige du cirque d'Antioche, il va sans dire, mais bien plutôt celui que l'on écrirait mieux charre, du verbe charrier, et que nos dictionnaires présentent comme « boniment », « bluff » et autres craques éhontées.

La langue française, force est de constater que ces braves gens ont tôt fait de la sacrifier sur l'autel de leur pragmatisme, et qu'ils s'en soucient comme de leur première carte d'électeur. Il n'est que de voir comment, à l'occasion, certains la parlent eux-mêmes...

 

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