LE FIN MOT
Pour un Brexit linguistique ?
Timbrés de l'orthographe n° 15
avril 2016
Chaque fois que le calendrier nous oblige — une semaine par an, il n'y a rien de trop ! — à nous précipiter au chevet de la langue française, reviennent sur la descente de lit textos et anglicismes. Boucs émissaires commodes pour nos médias, qui n'aiment rien tant qu'à disposer de victimes expiatoires que l'on puisse désigner à la vindicte publique par le biais de quelques exergues vengeurs.
Ce n'est pas, entendons-nous bien, que l'on s'accommode de la propension de nos contemporains à puiser généreusement dans le cabas d'Albion. Il va de soi que nous préférerions entendre Zidane parler de la Ligue des champions plutôt que de l'imprononçable Champions League. Faut-il vraiment lui rappeler que la Coupe d'Europe des clubs fut, à l'origine, une idée française ? Comme nous énerve au plus haut point la floraison des learning centers. Que nos bonnes vieilles « bibliothèques universitaires » ne fassent plus l'affaire, on peut à la rigueur le comprendre ; mais que la langue de Molière se montre incapable de baptiser ces bidules à la mode, on demande à voir !
Particulièrement agaçant aussi se révèle le noyautage, de plus en plus insidieux et sournois, de notre langue par celle de nos voisins. Il n'est plus rare qu'un club comme le PSG songe à « signer un joueur » au lieu de l'engager, puisque to sign a player se dit très correctement outre-Manche. Moins rare encore que, dans les copies de nos élèves, « dû à », sur le modèle de due to, se substitue à nos locutions prépositives « à cause de », « en raison de ». On a même vu un adjectif aussi péjoratif que « versatile » (ne le réservait-on pas, naguère, aux girouettes qui changeaient d'avis comme de chemise ou aux hommes politiques prompts à retourner leur veste ?) s'acheter une conduite pour devenir, selon la mode anglaise, un synonyme de « polyvalent » : un « joueur versatile » peut évoluer indifféremment à l'avant ou à l'arrière, un « sac versatile » être des réceptions huppées comme des sorties décontractées !
Loin de nous l'idée de minimiser ce danger-là, lequel nous paraît peser plus lourd, soit dit en passant, que l'emprunt occasionnel d'un week-end ou d'un mail, certains équivalents officiels nous laissant, courriel en tête, sur notre faim. Le français a toujours emprunté au cours de sa longue histoire, et l'anglais ne s'en est pas davantage privé, comme le confirme Jean Maillet dans son récent Messieurs les Anglais, pillez les premiers !
Ce que nous voulions dire, c'est que nous semblent autrement menaçants pour l'avenir de notre langue la maîtrise de plus en plus approximative des mécanismes élémentaires de nos syntaxe et conjugaison ; l'utilisation pour le moins maladroite de notre vocabulaire ; voire la tendance à mettre purement et simplement le français au rancart, lorsqu'on organise sur le territoire national, et avec la bénédiction des autorités, des colloques « en anglais exclusivement », alors que la quasi-totalité des intervenants sont francophones ! Vous avez dit snobisme ?
De même, les textos et leur façon si particulière de récrire notre lexique se révéleraient moins nocifs si, en face d'eux, on se montrait capable d'enseigner efficacement un français plus académique. Mais il coûtera toujours moins cher de pester contre l'utilisation de quelques formes isolées que d'inventer une nouvelle pédagogie, et surtout de se donner les moyens de la mettre en œuvre...
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