LE FIN MOT

Qui sème le vent récolte la tempête

Timbrés de l'orthographe n° 2
octobre 2012

Il était une fois une langue que d'aucuns jugeaient incohérente et arbitraire. Était-il bien raisonnable que l'on y écrivît « un cure-dent » et « un cure-ongles », « des cache-pot » et « des couvre-plats » ? Que les dictionnaires se contredissent sans vergogne d'une page à l'autre ? Qu'il existât pour un seul et même terme plusieurs graphies possibles ? Assurément non et, pour mettre fin à cet intolérable état de choses, on réunit en conclave tout ce que le royaume comptait d'éminents spécialistes.

L'heureux résultat ne se fit pas attendre : à la cacophonie originelle allait bientôt se substituer un univers linguistique respirant luxe, calme et volupté. En voulez-vous un seul exemple ? Naguère, en ces jours d'obscurantisme où régnait encore le chaos, on usait de la même forme pour parler d'un ou de plusieurs « pare-brise ». Une logique d'un autre âge voulait en effet que le premier élément de ce nom composé demeurât invariable en tant que forme verbale, et que le second, eu égard au sens, ne variât pas davantage. Jugez de la naïveté des grammairiens d'alors !

Aujourd'hui, Conseil supérieur de la langue française merci, ces arguties appartiennent au passé : nous ne disposons plus d'une forme unique pour le singulier et le pluriel, mais de deux pour l'un (pare-brise, parebrise) et de trois pour l'autre (pare-brise, pare-brises, parebrises) ! La maison à la dent-de-lion s'étant ralliée à l'étendard de la simplicité sans aller jusqu'à bannir une tradition qui, de tout temps, avait fait son succès, on est désormais fondé à écrire « un pare-brise », « des pare-brises » comme à maintenir le statu quo (« un ou des pare-brises »). Quant à l'écurie d'en face, elle a préféré miser sur une soudure également encouragée par nos sages, prônant par là même « un parebrise », « des parebrises ». Elle n'est pas belle, la langue, quand on s'avise de lui redonner un visage humain ?

Évidemment, le « Zadig et Voltaire » cher à l'inénarrable Frédéric Lefebvre n'eût pas manqué de s'étonner qu'une réforme censée réduire le nombre de graphies autorisées en vînt à le multiplier par quatre ! Mais, Pangloss avant la lettre, l'ange Jesrad lui aurait à coup sûr rétorqué, comme à un de ces mortels qui se mêlent de juger de chaque chose sans rien connaître, que tout est pour le mieux dans la meilleure des orthographes possibles dès lors que, les formes licites se reproduisant comme lapins en rut, la faute devient de plus en plus improbable...

Et ledit Zadig de cesser de disputer contre ce qu'il convenait d'admirer, d'adorer la Providence réformatrice à genoux, et de se soumettre.

 

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