À brûle-pourpoint
avec Bruno Dewaele,
champion de France 85 d’orthographe

propos recueillis par Vincent RIBEROLLES
La Voix du Nord (Hazebrouck)
septembre 1990

Et l’on reparle d’une possible réforme de l’orthographe. La presse fait ses choux gras de ce débat annuel qui prend, cette fois, des dimensions impressionnantes. À Hazebrouck, un consultant tout désigné s’impose pour aborder le problème de l’orthographe : Bruno Dewaele, professeur de lettres et premier champion de France d’orthographe, en 1985.

Première question de notre entretien, votre sentiment sur l’éternel débat de la réforme de l’orthographe ?

— Il faut savoir à qui vous posez la question. Si c’est à l’ex-champion, au professeur ou au Français moyen ?

Prenons les trois, en commençant par le champion.

— Alors, peut-être qu’avec une note d’humour je vous dirai que j’ai un peu mal lorsque je vois que des difficultés que j’ai dû vaincre risquent d’être supprimées. J’aime la langue telle qu’elle est, avec ses complications.

Le deuxième point de vue, le professeur...

— Il est tout à fait conscient que le français est une langue difficile. D’abord difficile à enseigner, donc je comprends les angoisses de mes collègues du primaire. Je conçois que leur tâche soit délicate, parce qu’il est malaisé d’inculquer à des élèves des choses qui sont souvent illogiques.

Comme, par exemple ?

— Il y a des choses comme le pluriel des noms composés, c’est n’importe quoi !

Reste le dernier personnage à interroger, le Français moyen.

— Je crois sincèrement que le Français moyen tient à son orthographe, inconsciemment, peut-être. Il peste contre elle parce qu’il a beaucoup de peine, je dirais, à la dominer.

Au bout du compte, pensez-vous qu’une réforme soit nécessaire ?

— Je serais tenté de répondre : quelle réforme ? Je suis partisan d’aménagements, d’un dépoussiérage. C’est vrai, il y a des choses aberrantes comme traditionalisme avec un « n » et traditionnel avec deux. C’est vrai qu’apprendre ça à des élèves, ça ne tient pas debout.

Parlons-en, justement, des élèves. Quelques jours après la rentrée, le problème, c’est eux.

— Écoutez, je crois qu’il y a une confusion. On est en train d’accuser le français d’avoir une orthographe d’usage difficile. Je ne pense pas que le fait de la simplifier considérablement, voire de la rendre phonétique, arrange beaucoup les choses. Quelles sont les erreurs que l’on constate dans les copies ? Ce sont des « ent » au bout d’adjectifs, ce sont des erreurs énormes qui sont des fautes d’inattention. Cela peut être très intéressant de dire que schizophrène est un mot difficile à écrire ; ou que syndrome sans accent circonflexe alors que symptôme en a un, ce n’est pas normal. Mais ce ne sont pas ces mots-là qu’écrivent quotidiennement les écoliers.

Il n’est quand même plus possible de nier le phénomène actuel : la baisse du niveau orthographique.

— À une certaine époque, certains professeurs de mathématiques riaient en disant : « Vous savez, finalement, quelle importance qu’à développer il y ait un « l » ou qu’il y en ait d’eux, ce n’est pas bien grave ! » Aujourd’hui, ces mêmes professeurs se sont aperçus qu’ils souffraient également d’un manque de rigueur. Ils observent que, de temps en temps, les élèves mettent un moins à la place d’un plus. Ce n’est pas grand-chose, mais il n’empêche que tout est faux. Alors, je me dis que si tout le monde avait hurlé en même temps en disant : « Attention, manque de rigueur, manque de soin, on ne respecte plus les codes ! », il y aurait peut-être moins de difficultés aujourd’hui.

Aujourd’hui, il y a un problème. Vous parliez tout à l’heure d’un dépoussiérage de l’orthographe, notamment pour certains doublements de consonnes. Comment pourrait-on imposer des « aménagements » ?

— Je ne crois pas à une réforme institutionnelle. Théoriquement, on peut faire un petit quelque chose mais, dans la pratique, on va se heurter à des difficultés quasi insurmontables.

Il faudra quand même passer de la théorie à la pratique...

— Je crois que la seule réforme valable, c’est la réforme qui vient de la rue. J’ai un exemple : l’alvéole. Ce mot a longtemps été du genre masculin dans les dictionnaires. Il est devenu, aujourd’hui, des deux genres, tout simplement parce que les gens ne pouvaient pas considérer que c’était un alvéole. Dans les dictionnaires, c’est l’usage qui a triomphé.

La réforme, elle, est en marche, elle se fait d’elle-même, petit à petit. Cela risque d’être long, je suis d’accord.