Le vainqueur d’Hazebrouck

Brigitte LEMARCHAND
Pèlerin Magazine
18 octobre 1985

51 000 Français ont participé au premier championnat d’orthographe, signé Bernard Pivot. Bruno Dewaele a triomphé avec une faute et demie. Hazebrouck, sa ville, savoure la victoire.

« Ce serait bien si un Hazebrouckois gagnait. On pourrait le dire à Ceccaldi... » Bruno Dewaele ne le cache pas : cette petite phrase, que lui ont lancée avant son départ quelques habitants du pays, lui a véritablement servi de dopant. « Ce championnat, je l’ai préparé à 50% pour ma ville. Et mon plus grand plaisir, maintenant que j’ai gagné, c’est de faire parler d’Hazebrouck autrement qu’en termes humiliants, voire insultants. »

Neuf ans après l’affaire du substitut de Marseille, Étienne Ceccaldi, qui avait refusé sa mutation disciplinaire pour Hazebrouck, la plaie n’est toujours pas refermée. Trop de journalistes, d’écrivains, d’intellectuels ont contribué depuis à faire de cette ancienne sous-préfecture de la Flandre intérieure le symbole d’une France reculée où l’on ne peut que « subir un enterrement professionnel de première classe ! »

« Hazebrouck, ce n’est pas mieux qu’ailleurs. Mais ce n’est pas pire non plus. On y serait même plutôt bien », s’enflamme Bruno, 32 ans, en fixant la campagne ensoleillée qui s’étend à perte de vue. Il est né ici, comme sa femme et ses deux enfants, Guillaume, 8 ans, et Fabienne, 5 ans. « La ville attendait réparation. C’est chose faite. Mais je ne pensais pas que ma victoire ferait tant d’heureux. Le téléphone sonne sans cesse. Je reçois une vingtaine de cartes et télégrammes par jour. Les gens traversent la rue pour me dire bonjour. Au lycée, c’est l’euphorie. »

Ce mercredi 9, soit quatre jours après l’événement, la vague n’est toujours pas retombée. Une amie arrive les bras chargés de fleurs et d’un présent pour le vainqueur. Quatre jeunes viennent féliciter leur ancien prof, eux aussi des cadeaux plein les mains. « Depuis lundi, on ne parle plus que de M. Dewaele au collège », avoue Florence d’un ton rieur mêlé d’admiration. « Ce qui m’arrive est un bon exemple, enchaîne le professeur. Il prouve que pour réussir il faut travailler. » Agrégé de lettres modernes, nouvelliste déjà rompu aux concours, Bruno Dewaele ne s’est pas contenté de son acquis pour gagner. Il a travaillé pendant neuf mois, neuf heures par jour, à élargir son vocabulaire, défrichant cet été quelque 60 000 mots !

« J’aime la compétition. Mais pour l’orthographe, cette fois, j’arrête. Je vais me remettre à écrire et à lire. Je n’ai pas ouvert plus de deux bouquins pendant les vacances. Pour un professeur de lettres, c’est un peu juste. Puis il y a la famille. J’ai là aussi beaucoup de retard à rattraper ! »