Bruno Dewaele à mots ouverts

propos recueillis par Bruno VOUTERS
La Voix du Nord (toutes éditions)
18 janvier 2009

Le champion du monde d'orthographe propose un dimanche sur deux, dans « La Voix du Nord », une chronique très appréciée. Mais il tient aussi un blog, et vient de créer son propre site Internet. À cette occasion, retour sur sa passion.

— Le premier mot prononcé par le tout petit Bruno Dewaele ?

« Ai-je ouvert la bouche pour réclamer un dictionnaire ? La légende familiale elle-même n'ose l'affirmer ! Je me borne à espérer que ce ne fut pas “Oups !”, un jour où par mégarde j'aurais renversé ma bouillie... »

— Et les premiers qu'il ait appris à aimer ?

« Sans doute les premiers que j'ai déchiffrés seul, dans ce livre que m'avait prêté l'institutrice pour me consoler d'une varicelle sévère (une dizaine de boutons, en comptant large et en y mêlant les grains de beauté). Peut-être les prénoms des héros, Simone et Tobi. S, i, si ; m, o, mo ; n, e, ne : c'était l'époque de la syllabique pure et dure, que l'on allait bientôt jeter aux orties avant, la nostalgie aidant, de lui trouver de nouveau toutes les vertus. J'ai toujours pensé, pour ma part, que la méthode importait moins que l'envie. »

— Tomber amoureux d'une langue, est-ce possible ?

« Pourquoi ne le serait-ce pas ? La langue est femme : comme elle imprévisible, intransigeante, traîtresse à l'occasion. Et en même temps tellement charmante et enjôleuse... »

— Déjà petit, vous étiez champion de dictée ?

« Je me défendais. Je lui dois même mon BEPC car au problème de maths, ce jour-là, je n'avais compris que pouic ! Cela dit, si quelqu'un m'avait laissé entendre que l'orthographe me vaudrait de monter à la tribune de l'ONU, là où se sont succédé tous les grands de ce monde, je l'aurais pris pour un illuminé... »

— Comment apprend-on à bien maîtriser la langue ?

« À supposer que ce soit possible, en lisant. Puis en écrivant. Ce que l'on fait de plus en plus chichement, hélas ! »

— Vous avez fini par devenir champion du monde... N'est-ce pas trop lourd à porter ?

« Un peu. Vous vivez dans la hantise de laisser derrière vous une faute dont votre entourage — aux aguets, c'est de bonne guerre — puisse faire des gorges chaudes... Voilà qui vous oblige à vous relire en permanence et finit par tourner à l'obsession. Ce n'est pas drôle non plus pour vos enfants. Quand les miens brillaient en dictée, ce n'était que normal. Mais si un jour ils se ramassaient, on leur avait vite signifié qu'ils ne faisaient pas honneur à leur géniteur ! »

— Il y a le goût de la langue... Et celui des jeux de mots, non ?

« Ça va de pair. La langue est femme, mais aussi bonne fille : elle adore qu'on joue avec elle. Si ma chronique n'offrait pas autant d'occasions de sourire que de s'instruire, s'apprêterait-elle à souffler sa quatorzième bougie ? »

— Comment défendre la langue française ?

« En la parlant, d'abord. Pour paraphraser la devise du Canard enchaîné, c'est aussi le propre de la langue de ne s'user que quand on ne s'en sert pas. En ne la parlant pas n'importe comment, ensuite. En essayant de lui conserver clarté et précision. En la préservant de ces effets de mode, de ces tics de langage que Jean d'Ormesson appelle les borborygmes et qui la rendent insignifiante, dans tous les sens du terme. »

— Votre mot préféré ?

« Je vais vous surprendre, je n'en ai pas. Préférer, c'est rejeter. Je suis un peu — sur ce terrain-là seulement, entendons-nous ! — comme le Dom Juan de Molière, pour qui se lier avec une personne, c'est faire injure à toutes les autres. »

— Celui que vous n'aimez pas ?

« Je me méfie des termes en -isme, pour ce qu'ils supposent souvent d'intolérance et d'exclusion.

— Celui que vous aimeriez écrire autrement ?

« J'ajouterais volontiers un “i” à orthographe. Il eût été plus logique de faire rimer l'intéressée avec ces disciplines que sont la géographie ou la lexicographie qu'avec des instruments comme le normographe ou le télégraphe ! Mais c'est égal : voilà qui devrait en décomplexer plus d'un : le mot orthographe est probablement le résultat d'une... faute d'orthographe ! »

— Quelques mots pour 2009...

« C'est à nos gouvernants qu'il appartiendra d'en trouver, et d'efficaces, pour nous aider à traverser la crise que l'on sait. Puissent-ils s'inspirer du mendiant de Giraudoux, lequel, à celle qui se demande comment nommer le jour qui se lève quand tout est gâché, quand tout est saccagé, répond : “Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s'appelle l'aurore.” Au fond, il est peut-être là, mon mot préféré... »

 

Retrouvez cet article (avec les photos qui l'accompagnent) dans sa présentation originale, tel que La Voix du Nord l'a publié : Bruno Dewaele à mots ouverts.