Bruno Dewaele,
champion du monde d’orthographe

Philippe SANSPOUX
brochure n° 9 du Cercle d’OR
novembre 2006

Oui, il existe. Il est Français. Un Français du Nord. Un Français des Flandres.

Il ne se connaît pas de famille en Belgique, mais avoue quand même y avoir été conçu du côté d’Ath, en 1952, lors du voyage de noces de ses parents. Et ce nom, d’où vient-il ? Dewaele a pourtant une consonance belge, néerlandophone même. Et il en est fier ! Il signifierait « celui qui parle français », nous avoue-t-il. Une traduction qui le comblerait, bien sûr. Mais il ajoute que d’aucuns soutiennent qu’il voudrait plutôt dire « le mur », ce qu’il aime moins.

Pour en avoir le cœur net, nous avons interrogé Arthur Jacob, un des membres du Cercle d’OR, de culture néerlandophone.

Dewaele signifie tout simplement « le Wallon », précise-t-il. C’est, en tout cas, l’explication la plus plausible signalée par la plupart des ouvrages de référence. Certains d’entre eux, néerlandais, le traduisent par « le Français, le Roman ». Ce qui aurait tendance à satisfaire pleinement notre champion ! De Waal est aussi le plus grand affluent du Rhin en Gueldre.

Les dictées de Bruno Dewaele sont de véritables régals. Elles ne sont ni trop faciles ni trop difficiles, ni trop longues ni trop courtes. Les difficultés sont dosées de main de maître pour chaque catégorie. Le texte a du sens. Le thème est toujours d’actualité. Et les jeux de mots se succèdent, s’enchaînent.

D’un coup de stylo magique, Bruno peut transformer un « coup de soleil » en une « morsure de Râ ». Comment ne pas se brûler les doigts entre les mains expertes de ce génie de la langue française ?

Champion du monde (1)

La superfinale des championnats du monde d’orthographe a eu lieu une seule fois. C’était à New York en 1992. Tous les plus grands passionnés du monde s’étaient donné rendez-vous dans la salle de l’ONU sous l’égide du médiatique Bernard Pivot.

260 candidats venus de 112 pays différents ! Cette compétition n’aurait lieu qu’une seule fois. C’était une organisation gigantesque et onéreuse. Les candidats le savaient. Pour monter sur le podium, il fallait vraiment être au-dessus du lot, faire preuve de connaissances des mots, du vocabulaire, des définitions, mais aussi posséder une maîtrise de soi hors du commun, bref être un quasi-extraterrestre. La Belgique avait envoyé quatre représentants issus de notre groupe (René Trépant, Jean Richir, Marie-Christine Ketelslegers et Jules Manise) et un junior, une jeune fille de onze ans à peine.

Bruno Dewaele et Michèle Balembois furent partants pour la grande aventure. René Trépant, de Marchin, ancien champion de Belgique et ancien président de l’APT, a réussi à monter sur la troisième marche du podium, mais a dû laisser la grande victoire au Français Bruno Dewaele. Un coup de chance, pensez-vous ? Lisez ce qui suit, vous changerez d’avis !

Bruno Dewaele a travaillé comme un forcené pour y arriver. Un vrai bagne cérébral ! Dans les dernières semaines, il tournait et retournait les pages des différents dictionnaires jusqu’à treize heures par jour. Les siens ont dû s’en accommoder, acceptant même qu’il s’isolât totalement lors des vacances de Noël et de février au Touquet et à Hardelot. Une victoire plus que méritée. Et quelle victoire ! Il fut le seul candidat à réussir un sans-faute, tant sur la dictée que sur les trois tests appelés à départager les éventuels ex æquo. À ce titre, un reportage lui fut consacré dans l’émission de France 2 Envoyé spécial du 22 mai 1997.

Et lorsque l’on évoque son passage à New York, le champion a la larme à l’œil. Les événements du 11 septembre l’ont profondément choqué. Il raconte : « Ma première visite fut réservée aux tours jumelles. Nous logions au Vista (rebaptisé Marriott), au pied de celles-ci. Au soir de ma victoire, Bernard Pivot nous avait invités, les autres lauréats et moi-même, au restaurant panoramique situé au sommet de l’une d’elles. Tout cela n’est plus que décombres. Et c’est une part de l’aventure qui s’est effondrée en même temps que le World Trade Center. Il ne reste plus, de cette épopée, que la salle de l’Assemblée générale de l’ONU. Chaque fois qu’aux infos j’en revois la tribune, j’ai un peu de mal à me convaincre que j’y suis monté, que Bernard Pivot y a présenté mon recueil de nouvelles. »

Un palmarès impressionnant

Bruno Dewaele, outre le fait qu’il est devenu champion du monde d’orthographe, fut le premier champion de France d’orthographe à Paris en 1985. Une victoire qui a bouleversé sa vie dans le bon sens du terme. Il serait trop fastidieux d’énumérer ici les titres que Bruno a amoncelés depuis lors. Nous en citerons malgré tout quelques-uns : chevalier des Palmes académiques en 1992 (2), chevalier de l’Ordre national du Mérite en 1993, chevalier des Arts et des Lettres en 2000 ; médaille d’or de la Renaissance française au titre des lettres en 1993, Icare d’Or en 1994, Rose d’or des Rosati d’Artois en 1995...

Et lorsque Bruno se retourne, il songe, il rêve au chemin parcouru. Il se tait — pas facile pour lui ! —, il se pose des questions... On le regarde, on devine. Aurait-il pu penser, trente ans plus tôt, alors qu’il suait sang et eau, comme n’importe quel potache, sur les dictées proposées par ses professeurs, que l’orthographe l’aurait un jour conduit aussi loin, à New York ?

 

(1) En 1985, avec la linguiste Micheline Sommant, Bernard Pivot lance les médiatiques championnats de France d’orthographe sur un pari que lui avait lancé le grammairien belge Hanse (la Belgique fut la première à créer un championnat national d’orthographe en 1972). En 1988 et pour quatre ans, ils deviennent les championnats du monde d’orthographe avec, en apothéose, la superfinale à New York en 1992, avant de devenir les Dicos d’or réservés à la France.

(2) Promu officier en 2004.