Les « grosses têtes » de l’orthographe
A. FOLCH
Le Parisien libéré
7 octobre 1985
Le groupe — une centaine de personnes — est compact, agglutiné derrière les barrières qui bouchent l’entrée. On sent les gens nerveux, impatients, ce samedi, rue Bayard, devant les locaux de RTL. Attente d’un spectacle public, distribution de places de concert ? Pas du tout. Championnat de France d’orthographe...
Il ne s’agissait pas d’arriver en retard, histoire, entre autres, de pouvoir se concentrer avant le début des épreuves. C’est donc près d’une heure à l’avance que les soixante et onze finalistes, accompagnés le plus souvent par des membres de leur famille, attendent l’ouverture des portes. Là, assis par terre ou adossés à un mur, on potasse une dernière fois son dictionnaire, on ressort de son cartable ses règles de grammaire... Les visages sont tendus, chacun se dévisage en silence.
Organisés par RTL, RMC, Lire, qui retransmettaient en direct la dictée, et le Crédit Agricole, ces premiers championnats de France d’orthographe ont recueilli un fantastique succès populaire. Pas moins de 50 378 personnes y ont participé, mais, samedi, sur le coup de 14 heures, il n’y a plus que 71 forts en thème dans le studio habituellement réservé à l’enregistrement des Grosses têtes. 71 pupitres donc mais aussi deux pions et un professeur d’exception : Bernard Pivot. À l’heure du bilan et des résultats, celui qui avait voulu contribuer à la « défense de la langue française » se montrait très satisfait de ses élèves. C’est Philippe Labro, le nouveau directeur des programmes de RTL, qui devait remettre les prix (voyages, bibliothèques, encyclopédies...), sous des tonnerres d’applaudissements qui, à n’en pas douter, s’adressaient aussi bien aux vainqueurs qu’à l’organisation exemplaire de ce concours. Un concours qui pourrait bien, dans les années à venir, devenir une véritable institution.
« Mes élèves vont me faire la fête »
Un agrégé de lettres qui remporte un championnat de France (catégorie seniors) d’orthographe, quoi de plus normal ? Et pourtant, Bruno Dewaele, trente-deux ans, professeur de français à Hazebrouck, dans le Nord, est un miraculé. S’il a pu concourir pour la finale, et gagner, ce n’est qu’après avoir été repêché d’extrême justesse après les éliminatoires...
« Lors des précédentes épreuves, j’avais mis au singulier deux mots composés que le jury voulait au pluriel. Cela m’avait valu quatre fautes. J’ai déposé une réclamation et on a accepté ma requête, c’est comme ça que j’ai pu participer à la finale... »
 
Et gagner. Avec une faute et demie, il précède de peu Françoise Azéma de Créteil (deux fautes) et Monique Michot de Versailles (trois fautes et demie). Après sa victoire à l’arraché, Bruno Dewaele est doublement satisfait. Non seulement il a fait mentir les pronostics et battu Jacques Frammery, ce professeur d’anglais, ultra-favori après ses sans-faute dans les éliminatoires, mais encore son travail a payé. Car s’il y en a un qui a tout fait pour gagner, c’est bien lui : « Toutes mes révisions m’ont pris énormément de temps, raconte-t-il. Chaque jour, durant toutes les vacances, avant et pendant les épreuves, je me suis imposé trois heures de travail, penché sur mes dictionnaires et mes manuels grammaticaux. J’ai tout réétudié : la syntaxe, les règles et leurs exceptions, les accords... »
Aujourd’hui, pour la rentrée, il le reconnaît volontiers : « Mes élèves vont probablement me faire la fête et, c’est sûr, on ne va pas trop travailler. » Quant à son voyage, c’est avec sa femme, en amoureux, qu’il compte l’accomplir, le plus rapidement possible.