Allez, une dictée... et que ça faute !

Philippe Dessouliers, 2014

Quand on pense qu'il y a tout juste quelques mois notre Éducation nationale, pour le peu de dictées qu'elle réchauffe encore dans son sein, justifiait l'adoption d'un nouveau barème de correction par l'urgente nécessité d'en finir avec une « orthographe punitive » ! Qu'elle ne vienne pas expliquer à l'heureux possesseur de ce livre qu'il doit sans doute à d'inavouables pulsions masochistes de l'avoir acheté : le risque n'est pas mince qu'il lui rie au nez...

Non que l'on ait affaire en l'occurrence, et il s'en faut d'ailleurs de beaucoup, à un monde de Bisounours : le niveau est quelquefois tel que le candidat, oserait l'intrépide Stéphane De Groodt, ne peut être que dans ses petits Dessouliers ! Seulement la difficulté, ici, compatit plus qu'elle n'humilie. Elle n'est pas prétexte à pérorer, à pontifier encore moins. Elle ne débouche jamais sur une ironie qui s'amuserait de vos lacunes, mais sur un humour qui préfère s'amuser avec elles. Qu'importe que l'on se morde les doigts plus souvent qu'à son tour, si c'est pour mieux jouer, ensuite, avec les poupées ?

Dico de bronze en 2002 dès sa première participation à la dictée de Pivot, l'auteur fut un concurrent d'exception. Il ne lui aura manqué, pour exciper d'un palmarès plus étoffé, que d'être né plus tôt dans un monde moins vieux. Qu'à cela ne tienne, puisque l'attendait le sort de ces grands joueurs qui sont devenus plus grands entraîneurs encore. Dans le microcosme des Mérimées d'aujourd'hui, Philippe Dessouliers a peu de rivaux. Ses textes sont autant de machines infernales, amoureusement programmées pour vous péter à la gueule le moment venu. Au reste, ne vous y trompez pas : quelqu'un qui a l'idée de vous faire pêcher « des zées clairs à grands coups de thonaire » ne saurait être que foncièrement mauvais !

Heureusement, comme les victimes à la petite cuillère, à la pelle se ramassent les circonstances atténuantes. Tout, céans, est fait pour instruire, qui plus est en divertissant. Pour le coup, l'orthographe n'est que le plus court chemin d'un savoir à un autre, d'une matière à une autre. Je ne puis à cet instant m'empêcher d'évoquer le Gallois Roald Dahl : de l'œnologie aux antiquités en passant par les courses de lévriers, chacune de ses nouvelles nous introduisait dans un univers différent, dont on sortait chaque fois un peu plus riche. De même ici, pas une chausse-trape qui ne soit l'occasion d'une brève mais fructueuse rencontre avec l'astronomie, la mythologie ou la vexillologie. Pas un commentaire, c'est assez rare pour être souligné, qui ne nous arrache de surcroît à notre... pré carré hexagonal : les langues qu'à tort on dit étrangères — au premier chef l'anglais, qui n'a aucun secret pour notre homme — sont régulièrement conviées aux agapes. Le tout sans rien qui pèse ou qui pose : l'humour, toujours lui, veille au grain !

Le drôle précise un peu plus loin dans l'ouvrage, peut-être pour se dédouaner en partie de ses crimes, que j'ai été pour quelque chose dans son envie de prendre la plume. Si c'était vrai, il s'agirait là de mon plus beau titre.

Car autant vous prévenir : ce diable de Dessouliers, vous allez adorer l'abhorrer.