ON EN PARLE

Le supplice du « grill »

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Numéro 467
juillet-août 2018

Quand Mark Zuckerberg, le cofondateur de Facebook, est invité par le Congrès américain ou le Parlement européen à s'expliquer sur la protection toute relative qu'il garantit aux données personnelles de ses abonnés, nos médias ne rivalisent pas franchement d'originalité dans le choix de leurs images : dans une unanimité touchante, ils le placent quasi invariablement « sur le gril » !

Voilà qui, au demeurant, peut tout à fait se comprendre. D'abord, on ne saurait inventer une métaphore chaque jour que Dieu fait. Ensuite, plus d'un lecteur sait que le gril a été, dans un passé heureusement lointain, le supplice réservé à quiconque était appelé à mourir sur des charbons ardents. Quant à celui qui l'ignorerait (ou trouverait, non sans raison, l'image excessive), il lui sera toujours loisible de se rabattre sur l'ustensile — autrement pacifique — qui, en permettant de cuire des aliments à feu vif, fait les beaux jours de nos barbecues estivaux : après tout, qui niera que la cinquième fortune de la planète se soit fait, pour l'occasion, un tantinet... cuisiner ?

Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des réseaux sociaux possibles si, dans une unanimité moins nette mais aussi moins touchante, la plupart desdits médias n'avaient gratifié cet ancien masculin de grille d'un second « l » tout aussi inutile que le second « z » que, plus souvent qu'à leur tour, ils accordent sans barguigner à quiz... Il suffit en effet de tourner quelques pages de la Toile pour voir apparaître en pagaille des « grills », jusques et y compris sur des sites très comme il faut et sous la plume de professionnels incontestés de la communication : radios (Europe 1, France Info, France Inter, RTL), télévisions (BFMTV, CNews), presse écrite (L'Express, L'Obs, Le Parisien, Paris Match, Le Point). Même la Belgique des Grevisse et des Hanse, qu'une tradition tenace nous vend moins encline à jeter le français avec l'eau du bain, tombe sous la règle commune, la RTBF n'hésitant pas à écrire — horresco referens ! — que Mark Zuckerberg était « passé sur le grill pendant cinq heures ».

À la différence du « quizz », ce monstre tout droit sorti des enclos glauques de Jurassic Park, le grill a du moins le mérite d'exister, le moindre de nos dictionnaires en fait foi. Mais il est tout sauf crédible dans un tel contexte : abréviation empruntée à l'anglais grill-room, le mot s'applique en effet à un restaurant de grillades où viandes et poissons sont préparés sous les yeux des clients. Difficile, partant, d'imaginer que ce soit dans un tel décor que la fine fleur de nos représentations nationales et communautaires ait convoqué le jeune prodige de White Plains ! Plus difficile encore d'« être sur le grill » ou de « passer dessus », à moins bien sûr qu'il ne s'agisse de le survoler en deltaplane ou, plus prosaïquement, d'en réparer la toiture !

Que dans ces conditions le premier ait pu se faire... griller par le second était aussi improbable qu'un message d'alerte orthographiquement irréprochable sur certaines chaînes d'information continue de la TNT. Et pourtant ! On se surprendrait presque à trembler, par anticipation, pour l'intégrité du gril costal, puisque c'est ainsi que plus d'un praticien nomme aujourd'hui, par analogie de forme, cette cage thoracique qu'exhibe généreusement Cristiano Ronaldo dès qu'il marque un but, histoire de faire admirer du même coup ses tablettes de chocolat. Que l'on se mette bientôt à écrire « grill costal », et beaucoup iront croire à un coup de soleil sur les pectoraux !

Tout cela pour dire que l'on aurait été mieux inspiré de mettre le beau Mark sur... la sellette. À condition, cette fois, de ne pas oublier le second « l » !