ON EN PARLE

Le gros truc en plus

lire:
Numéro 531/532
juillet-août 2024

Avouerai-je ici que, chaque printemps (à plus forte raison quand il est pourri), je souffre de voir nos dictionnaires déployer des trésors d’ingéniosité pour vanter leur dernier millésime ? C’est à qui, par le truchement de ces « mots nouveaux » rassemblés dans une liste dosée avec autant de soin que le serait une liste électorale, convaincra le mieux de son ouverture d’esprit, de sa capacité à faire bouger ses propres lignes, de son envie d’épouser toutes les formes de français, et — foin du jacobinisme ! — pas seulement l’hexagonale.

Je leur en veux d’autant moins de se prêter à pareil racolage que presse et médias sont les premiers demandeurs : cette course à la nouveauté fait partie de leur ADN, et c’est presque toujours l’assurance d’un papier qui, curiosité oblige, sera lu. Quant à l’usager, quand il ne serait pas plus question pour lui d’acquérir l’ouvrage que de se mettre à la philo après le sujet du bac, il ne déteste pas lui-même cette bouffée culturelle qu’on lui offre de respirer à bon compte.

Je regrette seulement qu’il soit besoin de cette écume pour que l’on daigne s’intéresser à l’eau. De ce détour par le particulier, le superfétatoire et l’éphémère pour accéder au général, à l’essentiel et, l’heure n’est pas à la peur des mots, à l’éternel. Quand on a la chance de disposer de ces deux outils, si différents et si complémentaires à la fois, que sont le Petit Larousse illustré et le Petit Robert de la langue française, c’est à tout moment qu’on les veut près de soi. Chaque fois que l’on m’a demandé avec lequel je partirais pour une île déserte, j’ai répondu les deux ou rien. Ne diraient-ils pas toujours la même chose, se contrediraient-ils même ouvertement à l’occasion, ils n’en sont pas moins un miraculeux raccourci de la langue et du savoir, ce qui, par bien des côtés, n’est pas loin d’être la même chose.

D’aucuns susurreront que j’en parle à mon aise et que tout le monde n’a pas la chance de recevoir l’un et l’autre en service de presse. Mais cela n’a pas toujours été le cas, tant s’en faut, et il est des priorités budgétaires avec lesquelles il me semble qu’on ne saurait transiger.

Alors ne les achetons pas pour ce p’tit truc en plus, trop souvent concession moutonnière à l’air du temps. Ai-je vraiment besoin d’eux pour potabiliser l’eau que jusqu’ici je rendais potable ou patrimonialiser ce que, ce matin encore, je classais au patrimoine ? Ou à l’inverse, pour réduire collaboration en collab ou assèchement en assec ? Je vais sans doute vous paraître présomptueux, mais je n’étais pas loin de m’en sentir capable sans leur aide. Ce que j’attends d’eux, en revanche, par le biais de leurs définitions, c’est qu’ils m’aident à parler juste et au niveau qui convient. Dans un monde qui ne rechigne plus à confondre exempt et exsangue, la tâche relève de la salubrité publique.