ON EN PARLE
À jamais les premiers !
Numéro 529
mai 2024
Que l’on partage ou non son enthousiasme pour une orthographe nouvelle dont il fut et demeure l’un des fers de lance, il faut reconnaître à Bernard Cerquiglini, outre d’indéniables compétences linguistiques, un solide sens de l’humour et de la provocation. Crier à la face du monde et du balcon de son dernier ouvrage que « la langue anglaise n’existe pas », en ces temps où elle se répand comme un chancre, il fallait oser !
Le risque, certes, n’était pas des plus grands. Il n’est nul besoin de connaître l’inlassable traqueur d’anglicismes de l’écurie Larousse pour deviner qu’il fait ici dans le clin d’œil entendu. Pas davantage de s’entendre confirmer dès la préface que « la langue anglaise existe. Elle est parlée (langue maternelle ou seconde) par un milliard d’êtres humains ; et tant d’autres la désirent, qui en barbouillent leur parlure native. » On ne le sait, hélas ! que trop.
Mais la provocation ne mène à tout qu’à condition d’en sortir. Et le titre de l’ouvrage ne serait pas complet si l’on n’y ajoutait le propos définitif qu’Alexandre Dumas met dans la bouche de son héros d’Artagnan : le prétendu anglais n’est en réalité que « du français mal prononcé ». La thèse, dès lors, n’est pas sans rappeler celle que développait, naguère, une autre linguiste, Henriette Walter, dans Honni soit qui mal y pense : l’anglais, langue finalement moins germanique que romane, doit, sinon tout, du moins beaucoup au français. Au bas… mot, quelque 80 000 termes, soit l’équivalent de ce Petit Larousse aux destinées duquel préside l’auteur chaque année ! Ce qui suit ne sera qu’une longue (mais passionnante) démonstration de ce postulat, exemples plus étonnants les uns que les autres à l’appui.
Quelle revanche — pour le francophone qui n’a pas peu souffert d’entendre, lors de la seconde guerre du Golfe, les néoconservateurs de Deubeuliou Bush moquer une langue devenue confidentielle — de se voir expliquer par Cerquiglini que même cette Paramount que les Yankees chérissent par-dessus tout descend de l’ancien français par amont ! Que ces damnés rosbifs, censés tirer toujours les premiers, se soient en réalité comportés en vils copieurs ne peut évidemment que flatter un orgueil national qui en est trop souvent réduit à piétiner la rose à Twickenham — et encore, pas tous les ans ! Pour un peu, on croirait entendre les supporteurs de l’Ohème rappeler à ces rouleurs de caisse de Parisiens du Qatar que, quoi qu’il arrive, ils resteront les premiers à avoir offert la coupe aux grandes oreilles à la France !
Cela dit, et de même que cela ne plomberait pas l’ambiance de la Canebière d’en remporter une deuxième, nos échecs d’aujourd’hui ne peuvent durablement trouver leur absolution dans nos succès d’hier. Que la langue anglaise n’existe pas ne saurait nous faire oublier que la française, elle, existe de moins en moins…
La langue anglaise n'existe pas, c'est du français mal prononcé, par Bernard Cerquiglini (Folio Essais) ; 208 p. ; 7,80 €.