ON EN PARLE

Dis-moi ce que tu exportes...

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Numéro 528
avril 2024

Gageons que nous sommes nombreux à pester contre ces step by step qui prennent le pas sur notre « pas à pas », ces low cost dont on ne parvient pas toujours à faire bon marché, ou encore contre ces upgrader le level qui ne relèvent pas le niveau. Encore si cela servait à autre chose qu’à creuser notre ulcère, nous pourrions continuer, tel Sisyphe, de rouler notre rocher sur la pente abrupte du tout-anglais, mais ainsi ? L’Académie a beau pointer de son bicorne les manquements au patriotisme linguistique, force est de constater que l’usager n’y entend que pouic.

Ne siérait-il pas plutôt, pour nous donner l’illusion de rester dans le game, de voir la bouteille au quart pleine plutôt que celle aux trois quarts vide ? de se shooter — pardon, de s’enivrer de ces tours du cru (merci d’éviter les coquilles) que l’univers nous envie ? On ne remerciera jamais assez Jean Pruvost de s’être attelé à la tâche par le biais de ces 100  mots et expressions de la langue française qui ont conquis le monde, récemment édités au Figaro littéraire. C’est qu’il est des remèdes salvateurs qui mériteraient d’être remboursés par la Sécurité sociale. Pour être au trente-sixième dessous, cette dernière n’en est plus à une volée de marches près !

N’allons pas pour autant nous voiler la face. On découvrira dans ce petit livre passionnant que le français sauve les meubles là où le Français est censé les avoir installés depuis toujours : dans la bouffe, au sein de laquelle nombre d’étrangers ne dédaignent pas de puiser « à la carte » ; dans le libertinage (notre « ménage à trois » se passe partout de traducteurs, tout comme l’invite célèbre « Voulez-vous coucher avec moi ? ») ; dans la mode enfin, surtout quand elle… flirte avec l’item précédent (à voir le succès remporté par nos « décolletés », « déshabillés » et « négligés », rien d’étonnant à ce que notre langue se retrouve aujourd’hui à poil !).

Que les pères la pudeur se rassurent : le coq national ne recouvre pas la voix que sur son tas de fumier. Ce n’est pas un hasard si notre « comme il faut » a réussi extra-muros. Il arrive même qu’honneur soit rendu (on se pince alors que l’unité nationale n’existe plus guère que dans les rêves de notre président) à notre « esprit de corps » ! Quand ce n’est pas à notre esprit tout court, puisque nos « bons mots » restent plébiscités, comme d’ailleurs ce « je-ne-sais-quoi » qui fera toujours la différence — se révélât-on, par définition, bien impuissant à préciser laquelle.

Les rabat-joie jugeront que, dans l’univers impitoya-a-ble qui est devenu le nôtre, ces satisfactions d’amour-propre ont un parfum d’arrière-garde : ne nous réconcilient-elles pas avec notre passé plus qu’elles ne nous promettent un avenir ? Les pragmatiques leur répondront que, compte tenu de ce que ledit avenir semble nous réserver, c’est déjà ça !

 

100 mots et expressions de la langue française qui ont conquis le monde, par Jean Pruvost (Le Figaro littéraire) ; 146 p. 15,5 x 15,8 cm ; 9,90 €.