ON EN PARLE
Nous sommes tous des atterrés !
Numéro 525
décembre 2023-janvier 2024
Au fond, la tribune récemment publiée dans Le Monde, par des linguistes se disant « atterrés », afin d’appeler à l’élargissement de leurs « Rectifications orthographiques » de 1990 sent surtout l’agacement, l’aveu d’échec, pour ne pas dire le baroud d’honneur à plein nez : ce qui ressort le plus clairement de ce brûlot où le pathétique finirait par le disputer au tragique, c’est que la mayonnaise ne prend pas. Ces belles âmes qui s’enorgueillissaient jusqu’ici d’avoir fait entériner leurs doctes prescriptions par l’Académie, les dictionnaires et même l’Éducation nationale (fût-ce du bout des lèvres et en traînant les pieds), s’avisent soudain qu’elles sont en train de perdre la bataille de l’opinion.
M’en coûtât-il d’aller pour une fois dans leur sens, elles ont raison ! Hormis sous la plume de la minorité agissante qui en a accouché — et encore ! —, la « nouvelle orthographe », trente ans après, peine à dépasser le stade du virtuel. Moi-même, qui m’étais résigné à souffrir mille morts à la vue de ces sparadraps apposés à la hâte, comme autant de rafistolages, sur les prétendues cicatrices de notre langue, je dois avouer que je l’avais presque oubliée, tant elle brille par son absence dans notre vie de tous les jours. Rien ou si peu dans les lignes de nos circulaires, les pages de nos romans, les colonnes de nos journaux, jusques et y compris — horresco referens ! — de ceux qui, par idéologie, s’étaient penchés sur son berceau avec le plus de bienveillance. Par les temps qui courent à la perte du français, et Dieu sait que je ne m’en console aucunement, l’anglomanie et l’écriture inclusive font de tout autres dégâts, portées qu’elles sont par des groupes de pression plus influents que ne pourront jamais l’être nos malheureux linguistes, atterrés ou non.
À quelque chose malheur est pourtant bon : ces derniers viennent de tomber le masque.
On pouvait attendre en effet de ces esprits scientifiques qu’ils s’interrogeassent de bonne foi sur cet insupportable raté ; qu’ils eussent l’élémentaire honnêteté intellectuelle de se demander s’il n’était pas simplement la preuve d’un rejet. N’avaient-ils pas promis-juré de s’en tenir à un simple toilettage, allant jusqu’à récuser le mot tabou de réforme ? Ne s’étaient-ils pas targués, à l’heure du grand soir, de soumettre leurs idées au temps et, in fine, de « laisser l’usage choisir » ? Au lieu de cela, et sous le couvert d’excuses aux relents vaguement complotistes (ah ! l’immobilisme des médias…), ils ne sont pas sans nous rappeler ces « pédagogistes » qui mirent sous coupe réglée l’Éducation nationale durant des décennies, pour le brillant résultat que chacun est à même de constater aujourd’hui. Que faisaient-ils à chaque fois qu’ils se heurtaient au mur de la réalité ? Ils proposaient d’aller plus vite et plus loin. Les grands esprits se rencontrent toujours. À atterrés, atterré et demi !