ON EN PARLE

La dictée pour tous !

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Numéro 466
juin 2018

Il ne se trouvera pas grand monde pour contester que la dictée de Pivot — dont ce magazine fut, avec le Crédit Agricole, le principal organisateur — ait connu, de 1985 à 2005, un retentissant succès médiatique.

Pour autant, les critiques n'ont pas manqué, plus particulièrement dans certains milieux où la réussite, par essence, ne peut être que suspecte. Textes fabriqués pour la circonstance, trop ardus et truffés de pièges, se sont désolées quelques bonnes âmes, également promptes à dénoncer les lourdeurs stylistiques qui résultaient tout naturellement de ces chausse-trapes accumulées. Au demeurant, faut-il s'étonner qu'une compétition se montre exigeante envers ceux et celles qui s'y adonnent ? Pas plus qu'on n'attrape les mouches avec du vinaigre, il ne saurait être question de départager les finalistes d'un championnat du monde avec une dictée du brevet des collèges...

On a aussi crié au délit d'initié, sous prétexte que les lauréats de l'épreuve se recrutaient plutôt chez les lettrés que dans les rangs du vulgum pecus. Le constat mériterait à coup sûr d'être nuancé, mais le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? S'indigne-t-on, dans le cadre d'une compétition sportive, que le chétif ait plus de difficulté à tirer son épingle du jeu que le costaud ?

Ce faisant (mais attendre d'aigris qu'ils se montrent un tant soit peu objectifs est toujours peine perdue), on aura sournoisement occulté le positif de l'aventure : le désintéressement de candidats qui, quand ils venaient à l'emporter, se voyaient offrir... des dictionnaires neufs pour remplacer ceux qu'ils avaient mis à mal durant leur préparation ; la révélation que l'on peut s'amuser avec la langue, la dictée n'étant pas vouée à demeurer cette pratique rébarbative et traumatisante que d'aucuns s'obstineraient à décrire jusque sur le billot. On n'en veut pour preuve, au-delà du cercle des concurrents proprement dits, que le nombre impressionnant de ceux qui, devant leur petit écran, se sont pris au jeu et replongés avec nostalgie dans les affres présumées de leur passé scolaire...

Mais l'essentiel ne réside-t-il pas, comme souvent, dans l'héritage ? Depuis que, pour des raisons financières essentiellement, Dicos d'or, Dictée des Amériques et Timbrés de l'orthographe ont mis la clé sous la porte, on assiste à une ribambelle de répliques aussi sympathiques que symboliques, la moindre n'étant pas cette Dictée pour tous que chacun a saluée, du chanteur Hugues Aufray au ministre de l'Éducation nationale en passant par le susnommé Bernard Pivot.

De quoi s'agit-il au juste ? de l'initiative d'un animateur d'Argenteuil, Abdellah Boudour, qui réunit des foules de plus en plus denses autour de grands textes de la littérature française. Et surprise : ils sont venus, ils sont tous là. Jusqu'à se compter plus de douze cents à Drancy, dans le 9-3. Comme ça, pour le plaisir de faire une dictée. Des gens « qui ne sont rien », comme se risquerait peut-être à le dire notre président, mais qui, d'instinct, ont compris que la langue, ce n'est pas rien et que, tout bien pesé, elle constitue pour eux leur meilleure chance de s'intégrer. Faut-il rappeler ici qu'elle fut le premier ciment de notre nation ? Des siècles avant l'hymne national et le drapeau tricolore, lequel ne s'imposa définitivement que grâce à l'éloquence d'un Lamartine, vers le milieu du XIXe siècle.

Certes, il faut rester prudent avec le slogan « pour tous ». Chacun se souvient d'un mariage et d'une manif qui, l'un comme l'autre, ont moins uni que clivé. On ne voit pas cette fois ce que l'on pourrait reprocher à ces rassemblements spontanés et gratuits qui n'ont d'autre dessein, comme le clame l'association organisatrice, de démontrer la « force des mixités ». Mais patientons : l'imagination des rabat-joie a ses raisons que la raison ne connaît pas !