ON EN PARLE
Quand la poire, c'était avant...
Numéro 502
novembre 2021
Combien de fois les cartésiens estampillés que nous sommes ne se sont-ils pas récriés à la perspective d'aborder un sujet durant ce moment d'abandon qu'il est convenu de caser « entre la poire et le fromage » ? En toute logique, ne serait-ce pas là mettre la charrue avant les bœufs ? Eh bien, non : jadis, c'était bien au fromage de conclure les agapes. Un livre qui vient tout juste de paraître aux éditions Le Robert, et qui a pour titre 150 drôles d'expressions de la cuisine qui ne manquent pas de sel, nous confirme que la poire, elle, était surtout appréciée pour son pouvoir désaltérant : ne conseille-t-on pas, aujourd'hui encore, d'en conserver une pour la soif ? On en servait donc immédiatement dans le sillage des rôtis et des pâtés, « plats de résistance » entre tous, histoire de les faire descendre plus facilement !
Riche idée, en tout cas, de nous rappeler que si, en France, tout finit par des chansons, tout commence à table. Langue et bouffe ont toujours eu, dans notre pays d'épicuriens, partie liée. Ce n'est pas un hasard si la célèbre dictée de Mérimée, sous prétexte d'un dîner à Sainte-Adresse, mêlait cuisseaux de veau et cuissots de chevreuil. Pas davantage si la finale du premier championnat de France d'orthographe, en 1985 à RTL, proposait au menu, outre raisinés et résinés qu'il seyait de ne point confondre, ballottines, oignonades, chicons ravigote, poulpes aromatisés, scorsonères assaisonnées et butyreuses religieuses, le tout arrosé de crus gouleyants. Le texte a beau être signé Line Sommant, chacun sent bien que le Lyonnais Pivot, en gourmet qui se respecte, est passé par là !
On apprendra encore dans le livre susdit (qu'enrichissent quelques itinéraires culinaires bis, mitonnés par ce Bison futé d'Yves Camdeborde) que la choucroute dans laquelle il nous arrive de pédaler doit beaucoup à la voiture-balai des premiers Tours de France ; que le couvert n'a pas le même sens selon qu'il accompagne le gîte ou le vivre ; qu'il n'est point nécessaire d'avoir l'air cruche pour rester en carafe ; que la farine dans laquelle on vous roule quelquefois a moins à voir, elle, avec celle des cuisiniers qu'avec celle dont se poudraient les acteurs ; que quiconque a les foies aujourd'hui, les aurait probablement eus blancs, bleus, verts, voire tricolores par le passé ; que l'image du four, si redouté au théâtre, vient du fait que le régisseur, par souci d'économie, n'hésitait pas à plonger les parterres clairsemés dans le noir... et que cette grosse légume qui nous impressionne tant pourrait tirer son origine des épaulettes à graine d'épinard portées par les officiers supérieurs de Napoléon III !
Mallarmé, on s'en souvient, se désolait que la chair fût triste et qu'il eût lu tous les livres. Il vous reste, heureux que vous êtes, à lire celui-ci pour découvrir que triste, la chère, elle, ne l'est jamais...