ON EN PARLE

Garder la monnaie ?

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Numéro 464
avril 2018

À vrai dire, la question n'est plus d'actualité depuis la dernière élection présidentielle. Tous ceux qui, pour en avoir fait leur fonds de commerce politique, s'entêtaient jusqu'ici à la poser y ont appris à leurs dépens que la sortie de l'euro ne séduisait plus les Français. Un bon point pour ces derniers, que l'on aurait imaginés autrement rancuniers ! Car enfin, est-il dans notre lexique un vocable qui aura plus implacablement étalé au grand jour leurs lacunes dès lors qu'il s'agit d'orthographier vingt et cent ?

Jusque-là, en effet, ce bon vieux franc s'était montré grand seigneur : comme la nature l'avait doté d'une consonne pour initiale, le problème de la liaison ne se posait pas avec lui ! On pouvait impunément ignorer cette fichue règle à laquelle la nouvelle orthographe elle-même n'a pas osé s'attaquer, et qui veut que vingt et cent prennent la marque du pluriel quand ils sont multipliés sans être suivis d'un autre adjectif numéral. Le chèque seul, alors, vous trahissait (on a bien fait de lui substituer la carte bancaire), mais, à l'oral, « quatre-vingt francs » et « trois cent francs » passaient comme une lettre à la poste.

Un peu plus vite, même.

Aujourd'hui, que vous fassiez sonner le « t » ou que, des plus hypocritement, vous choisissiez de ne pas faire la liaison, vous êtes chocolat ! On se gaussera de vos [quatre-vin-t-euros] comme de vos [trois-cen-t-euros]. Mais n'allez pas davantage espérer que votre lâcheté vous vaille le bénéfice du doute : comment croire à vos [quatre-vin-euros], à vos [trois cen-euros] quand vous n'hésitez jamais à lier « huit euros » ou « trois euros » ?

Vous nous direz, non sans raison, que d'aucuns n'ont pas attendu que cent fût multiplié pour le gratifier d'un « s ». Partant, on vous laisse deviner l'impression qu'ils produisent quand ils confient à leurs interlocuteurs qu'ils ne sont pas à [cent-z-euros] près !

L'univers de l'euro n'est pas seulement impitoyable pour le tradeur qui risque à chaque seconde de se réincarner en Kerviel, il l'est tout autant pour le citoyen lambda qui achète son pack de yaourts au Franprix du coin. Et l'on ne vous parle pas de la réticence qui sera tout naturellement la sienne dès qu'il lui faudra, à l'écrit cette fois, mettre euro au pluriel : comme il a plus souvent en main une petite coupure qu'un précis de grammaire, nous vous fichons notre billet qu'il optera pour l'invariabilité. N'est-ce pas elle qui triomphe sur tous les fafiots que nous concoctent les banques centrales de l'Union européenne ? C'est que, les diverses langues concernées n'ayant pas forcément la même façon de traduire ce pluriel, on a préféré laisser le mot au singulier. Ce qui ne nous dispense aucunement de libeller une facture en... euros, l'Académie se faisant un malin plaisir de nous rappeler qu'en français tout nom commun est tenu de prendre la marque du pluriel !

Pour la route, une dernière petite preuve qu'en troquant nos francs contre des euros, nous n'avons pas gagné... au change ? On ne risquait plus guère, avec les premiers, de confondre avec les Francs : déjà qu'on peine à se souvenir du vase de Soissons ! En revanche, les seconds souffrent plus que jamais de la concurrence des divers Euros (football, handball, etc.) qui défraient régulièrement la chronique sportive, pour ne pas dire la chronique tout court. Et comme, ce n'est un secret pour personne, les vainqueurs de l'Euro ramassent accessoirement un joli paquet d'euros, voilà qui n'aide pas davantage à user à bon escient de la majuscule !