ON EN PARLE

Les animaux malades de la... langue

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Numéro 495
avril 2021

Sale temps, décidément, pour notre langue ! Déjà en butte aux attaques conjuguées des réformateurs qui la trouvent compliquée, des féministes qui la jugent patriarcale et machiste, des idéologues du décolonialisme qui la disent raciste, elle s'attire désormais les foudres des antispécistes. Une association de défense des animaux, PETA (en français : Pour une éthique dans le traitement des animaux), ne vient-elle pas de dénoncer le « vocabulaire oppressif » dont nous usons régulièrement à leur encontre ?

Mine de rien, voilà qui pourrait transformer en profondeur nos habitudes langagières. Plus question, on s'en doute, de noyer le poisson, de plumer le pigeon, de manger du lion, de tuer le ver ni d'étrangler un perroquet (si par extraordinaire l'une ou l'autre de ces expressions vous était inconnue, n'allez pas vérifier son sens, il vous serait plus difficile d'y renoncer).

Il va tout autant de soi que doit être mis à l'index tout ce qui, de près ou de loin, suggère une quelconque torture : taquiner le goujon, secouer ses puces, écorcher le renard, prendre le taureau par les cornes, tenir le loup par les oreilles, tirer l'anguille par la queue et, évidemment, faire des choses inappropriées aux mouches, tout ça, c'est fini !

Se servir de la patte du chat pour tirer les marrons du feu, on ne vous dit pas. Même si, oubliant la première partie de l'expression, nous sommes assez bêtes — pardon, assez idiots — pour nous brûler en les tirant nous-mêmes !

Inutile de préciser qu'il sera bientôt interdit de traiter le fantasque de braque, la balance de cafard, le malhonnête de faisan, la curieuse de fouine, le paresseux de lézard, le mollasson de limace, l'étourdie de linotte, le chétif de mauviette, l'entêté de mule, le misanthrope d'ours (mal léché, si affinités), la bavarde de pie, le prudent de pou mort, le pingre de rat, le hargneux de roquet, la collante de sangsue, le méchant de teigne, l'usurier de vautour, la malintentionnée de vipère, la fausse note de canard, la marchandise défraîchie de rossignol. Quant à trouver que son adversaire politique a le QI d'une huître ou à balancer son porc sur Internet, on n'y songe même plus...

Cela dit, que la langue se console : notre littérature elle-même ne devrait pas sortir indemne de l'aventure. Comment continuer, en effet, à encombrer nos chères têtes blondes de cet odieux La Fontaine, lequel ne trouva rien de plus intelligent que de faire endosser nos turpitudes trop humaines à des animaux qui n'en pouvaient mais ? Et que penser d'un Luchini qui, toute honte bue, assure sa promotion chaque jour que Dieu fait ?

Prenons pourtant garde que les intentions forcément louables de toutes ces causes forcément justes ne nous condamnent bientôt à un silence qui ne soit plus même celui des agneaux. Sans la moindre assurance que ce mutisme agrée à la carpe...