ON EN PARLE

« A minima », c'en est trop !

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Numéro 489
octobre 2020

Le snobisme ne se repaît pas seulement d'anglicismes, il sait aussi frapper à la porte du latin. La littérature ne se prive d'ailleurs pas de nous rappeler que le phénomène est vieux comme la langue : le valet de Dom Juan n'était pas, chez Molière, le dernier à se gargariser de inter nos destinés à épater la galerie. Quant à M. de Peyrehorade, ce m'as-tu-vu créé par un Mérimée qui, Dieu merci, n'a pas écrit que sa dictée, il avait coutume de saupoudrer ses cours d'archéologie de locutions latines du plus bel effet. Rassurez-vous, notre époque ne donne pas sa part aux chiens.

En témoigne la place qu'a prise depuis quelque dix ans le tour a minima, coqueluche de tout ce qui papote dans les médias. La covid 19 semble même avoir accéléré le processus.

À l'origine, rien ne semblait prédisposer cette expression à s'aventurer hors de son pré carré juridique. Faire appel a minima, en réalité a minima poena ad majorem (« à partir de la plus petite peine vers la plus grande »), c'était réclamer une aggravation de la sentence, parce que le délit le valait bien.

À quel moment est-il apparu que cette formule méritait mieux que sa signification étriquée, comprise aux seuls abords des prétoires ? Pas facile de retrouver le patient zéro ! Gageons pourtant qu'aura joué la perspective d'épingler à son tableau de chasse personnel un tour autrement dépaysant que le trivial « au moins » et le par trop francisé « au minimum ».

Voilà pourquoi on a entendu Olivier Véran, ministre de la Santé, déclarer au Palais-Bourbon : « Messieurs les députés, je vous demanderai a minima de remettre votre masque quand vous criez, pensez à votre groupe, ne créez pas un cluster à l'Assemblée nationale. »

Mais la crise sanitaire que nous traversons aura fait que, de façon quasi virale, on use aussi de l'expression pour signifier qu'une manifestation se trouve réduite à sa plus simple expression : « Coronavirus et obsèques a minima : "C'est épouvantable de dire adieu dans ces conditions" » (Le Parisien) ; « Célébrations a minima à un an des jeux de Tokyo, menacés par le virus » (Sud-Radio) ; « 76e anniversaire du Débarquement : des cérémonies a minima » (La Croix). D'aucuns se montrent plus indulgents pour cette dérive-là, arguant que l'idée originelle n'est pas si loin : signaler que les choses se font petitement, c'est, plaident-ils, que l'on espère un prompt retour à la normale ! Mais, sous la Coupole, les deux emplois sont fustigés et renvoyés dos à dos. Même nos dictionnaires usuels, pourtant prompts à sacrifier leurs credo sur l'autel de la nouveauté, font la sourde oreille.

Apparemment sans succès aucun, car, dans plus d'une bouche, on surprend désormais des a maxima. Il est vrai que qui peut le moins peut le plus !