ON EN PARLE
La dictée ou L'éternel retour
Numéro 462
février 2018
Dans un magazine qui a créé et organisé pendant vingt ans les championnats de France et du monde d'orthographe, comment rester insensible à ce qui se dit ces temps-ci sur la dictée ? Comment, surtout, ne pas tenter — l'entreprise participât-elle de la gageure — de dépouiller le débat de ses oripeaux idéologiques pour lui redonner un minimum d'objectivité et de sérénité ? C'est que le sujet divise autant qu'il passionne. Pas plus qu'indifférent, il ne vous laisse libre de penser par vous-même. Il vous faut choisir votre camp. Ceux qui encensent la dictée en question et considèrent que, hors le retour aux temps bénis où l'on s'y collait chaque jour, il n'est point de salut pour des têtes qui, si chères et si blondes qu'elle soient, font de plus en plus piètre figure dans les classements internationaux. Ceux qui la vomissent comme le symbole d'un passé qui n'a plus lieu d'être et s'agacent de voir l'exercice honni revenir inlassablement par la fenêtre alors qu'on croyait l'avoir à jamais chassé par la porte.
Encore si ce choix était mûrement réfléchi et se fondait sur des arguments en bonne et due forme ! Mais il est à craindre que ce soient vos tripes qui parlent le plus haut, et que ledit choix doive beaucoup à vos performances passées en la matière. Que la dictée ait été pour vous une formalité dont insolemment vous vous jouiez et il serait étonnant que vous appréhendiez seulement ce qu'on lui reproche. Qu'au contraire vous ayez, des années durant, souffert mille morts à l'énoncé de son seul nom par l'instituteur et vous ne pouvez que crier haro sur le baudet. On aura deviné à quelle coterie j'appartiens. J'essaie ici d'en faire abstraction.
L'actuel ministre de l'Éducation nationale veut rétablir une dictée quotidienne à l'école afin d'élever le niveau de compréhension de nos élèves ? « Hors sujet ! », tonnent ses détracteurs. Voilà qui limitera — peut-être — la casse, il est vrai considérable, en orthographe et en grammaire, mais qui ne sera d'aucune utilité pour le reste. N'allons pas confondre lecture intelligente et simple déchiffrage, maîtrise des outils et art de s'en servir ! Pis, ce retour aux fondamentaux serait purement opportuniste, un message destiné à rassurer l'opinion, et Jean-Michel Blanquer ne serait pas le premier à y avoir recours : c'est régulièrement que le fantôme de Jean-Pierre Chevènement (lire, écrire, compter) sort du corps de ses successeurs, de gauche comme de droite. Accordons à ces sceptiques que, pour dépasser rarement le stade de la déclaration d'intention, l'antienne n'est pas nouvelle. Que ce n'est pas parce que l'on écrit un texte sans fautes qu'on en saisit le sens. Le sens caché moins encore, puisque ce serait surtout là que le bât blesse, à en croire l'étude Pirls, par laquelle le scandale est arrivé.
Qu'en l'espèce la dictée ne constitue pas la panacée, c'est l'évidence. En même temps (comme dirait quelqu'un de connu !), sied-il de jeter le bébé avec l'eau du bain ? Parce que la syntaxe ne se résume pas à ce tissu d'illogismes et d'aberrations que d'aucuns se plaisent à vouloir détricoter, parce qu'elle révèle plus souvent qu'à son tour la structure de la phrase et d'un discours, elle contribue à leur compréhension : quoi qu'on en dise, on orthographie plus aisément ce que l'on conçoit ! La frontière entre forme et fond que brandissent les contempteurs de la dictée est peut-être plus ténue qu'il n'y paraît. Pour le reste, et si je n'ai jamais douté que le critère majeur de l'intelligence résidât en effet dans l'aptitude à se hisser jusqu'au second degré, force est de raison garder : ce n'est pas une recette et une seule qui apprendra l'humour ou l'ironie à nos élèves mais une pluralité de démarches, qui, d'ailleurs, ne passent pas toutes par l'école. Il reste que, pour lire entre les lignes, il faudra toujours savoir, au préalable, lire les lignes.