ON EN PARLE
D'un Grevisse l'autre
Numéro 474
avril 2019
Il y a quelque dix ans, nous avions feint de nous étonner que la consultation du Bon Usage ne figurât pas au Top 20 des meilleurs petits plaisirs de la vie, au même titre que le fait de retrouver de l'argent au fond de sa poche, de s'apercevoir que l'on a perdu du poids, ou encore de se réveiller en pensant que l'on doit aller travailler alors que c'est dimanche ! L'enquête menée auprès de trois mille sujets de Sa Gracieuse Majesté ajoutait « se blottir dans un canapé avec une boisson chaude » mais, ledit sondage ayant été commandé par une société spécialisée dans la soupe lyophilisée, voilà qui ôtait à ce plaisir minuscule un peu de sa crédibilité !
Pour ce qui est du Bon Usage, en revanche, nous n'en démordons pas : est-il plaisir plus raffiné, soulagement plus intense, nirvana plus abouti que de constater que le crime contre la langue dont vous venez de vous rendre coupable, des générations d'écrivains et de gens comme il faut l'ont perpétré avant vous ? Un indicatif à la suite de quoi que ? Sans appel est le renvoi au quoi qu'il arrivera d'un certain de Gaulle. Confondu prêt à et près de ? Racine était coutumier du fait ! Masculinisé espèce ? Grevisse a tôt fait de sortir de son large chapeau un espèce de vallon pagnolesque, un espèce de phtisique mauriacien, sans arracher à Bernanos autre chose qu'un espèce de murmure, à peine réprobateur...
On comprend que les auteurs du Petit Bon Usage de la langue française, Cédrick Fairon et Anne-Catherine Simon, aient été tentés de placer leur travail sous l'égide du bon Maurice. Ne rappellent-ils pas d'entrée de jeu, après Montherlant, que « c'est à l'audace de leurs fautes de grammaire que l'on reconnaît les grands écrivains » ? Et c'est vrai qu'à cette aune certains se sont révélés très grands !
Les ressemblances ne s'arrêtent pas là. Comme chez Grevisse, on n'entend pas dissocier la langue de la littérature, même si cette dernière a pris un sacré coup de jeune, une place non négligeable ayant été réservée à René Goscinny, Yann Moix et même — l'intéressé lui-même n'en fût probablement pas revenu — Johnny Hallyday ! À se demander, mais seuls les mauvais esprits le feront, si la nécessaire et symbolique présence d'iceux dans l'index ne l'a pas quelquefois emporté sur l'intérêt de la citation... Une démarche moins normative que descriptive, aussi, les règles à peine exposées se trouvant tempérées par des remarques qui mettent les choses en perspective et rappellent qu'en la matière rien n'est jamais figé, à l'instar d'une orthographe sommée de s'adapter afin de demeurer un vêtement « confortable, élégant et convivial ». Ce dernier adjectif suffirait à lui seul à en persuader, triomphe ici celle de 1990 (inconditionnels du circonflexe s'abstenir), mais on concède à plusieurs reprises que la précédente ne saurait être tenue pour incorrecte (c'était bien le moins). À l'inverse, si la règle de l'accord du participe passé conjugué avec l'auxiliaire avoir est pour l'heure confortée dans son principe, le lecteur se voit expliquer dans la foulée qu'elle est de moins en moins respectée et (auteurs et éditeur ne sont pas Belges pour rien) qu'elle pourrait disparaître dans un avenir proche.
Il reste que l'ouvrage est clair, qu'à quelques actants et rhèmes près on sait ne pas y abuser du jargon linguistique et que tout a été fait pour que, comme le grand frère qu'il s'est opportunément choisi, l'ouvrage soit lu plutôt que consulté. C'est là, bien sincèrement, tout le mal qu'on lui souhaite.
Le Petit BON USAGE de la langue française, par Cédrick Fairon et Anne-Catherine Simon, 576 p., De Boeck Supérieur, 29 €.