Timbrés de l'orthographe
La dictée, le retour :
quand La Poste prend le relais...
10 avril 2011
Lorsqu'il s'agira désormais de décerner des brevets d'orthographe, ce sera le cachet de la poste qui fera foi... Succession difficile que celle de Bernard Pivot — les souvenirs, souvent grandioses, de cette époque héroïque ne s'oblitéreront pas aisément — mais ô combien exaltante ! La première levée — celle des finales régionales — avait en tout cas lieu hier, dans les amphithéâtres du pôle de médecine Henri-Warembourg pour les quelque huit cents candidats sélectionnés en Nord-Picardie.
Pour un peu, on se serait cru transporté vingt-six ans en arrière !
Même enthousiasme — quand elle deviendrait postale, la flamme est toujours là.
Mêmes angoisses existentielles chez les concurrents — d'hier ou d'aujourd'hui, un « timbré de l'orthographe » ne redoute rien tant que d'être collé à cause d'un piège à la gomme.
Même palpable excitation dans les travées : l'épreuve se déroulât-elle à l'heure présumée de la somnolence postprandiale (poste-prandiale ?), il n'y avait aucun risque que quelqu'un s'assoupît ! D'ailleurs, l'auteur de la dictée, l'écrivain Philippe Delerm, n'a-t-il pas donné à l'un de ses ouvrages le titre prémonitoire de La Sieste assassinée ?
Mêmes flottements dans le déroulement de l'épreuve, aussi : s'il n'y eut aucun retard dans la distribution... des copies, ledit Delerm, qui fut pourtant enseignant, devait dicter son texte à aussi vive allure que Bernard Pivot en 1985, ce qui obligea, pour couper court à l'émeute naissante, une représentante de l'organisation à le remplacer au pied levé, et ce dans tous les sens du terme ! Ce sont là péchés de jeunesse, au demeurant bien compréhensibles, mais auxquels il conviendra de remédier au plus vite si l'on ne veut pas s'attirer, de la part d'un public qui a toujours compté parmi les plus exigeants, des remarques aussi aigres-douces que celles qui peuplaient le scénario de la dictée ! Il serait également des plus souhaitable que des ouvrages de référence soient définis de façon plus nette : l'orthographe, faut-il le rappeler ici, est tout sauf une science exacte, et l'on n'a que trop souvent raison avec un lexicographe... aux dépens d'un autre ! Cet effluve que de toute évidence, et avec raison selon nous, l'on voulait masculin ne peut-il vraiment entraîner un participe au féminin, dès lors que le Petit Larousse précise qu'effluve est parfois féminin au pluriel ? De même, ce fruit de la Passion a un goût sensiblement différent selon qu'il est croqué par Larousse — singulier et majuscule à « passion » — ou par Robert — pluriel et minuscule !
Mêmes pièges, enfin. Les vétérans de l'orthographe — ceux-là mêmes que Delerm voit sucrer les fraises, sans doute — se seront souvenus, non sans une pointe de nostalgie, que « l'apogée triomphal » et le « haut de gamme » faisaient déjà partie de la toute première demi-finale, remportée... haut la main, à l'époque, par le Lillois Jacques Frammery. Que ce texte particulièrement léché — du Delerm pur sucre — ait été à l'origine de telles réminiscences aura participé, pour le briscard que nous sommes devenu, d'un plaisir tout autre que minuscule !
Retrouvez cet article (avec les photos qui l'accompagnent) dans sa présentation originale, tel que La Voix du Nord l'a publié.