Un livre blanc sur l’état du français, en France et en Europe

La résistance à l’anglomanie

16 juin 2001

Est-il lieu plus approprié, pour traiter de la langue, qu’un palais, a fortiori de la République ? L’Assemblée nationale avait, ce jeudi 14 juin, ouvert ses portes aux défenseurs du français, avec la bienveillante complicité de MM. Pierre-André Wiltzer et Louis Mexandeau, députés UDF et PS.

Un œcuménisme de bon aloi sur un sujet qui transcende les clivages politiques. Le Sénat ne faisait d’ailleurs pas chambre à part, représenté qu’il était par le sénateur Jacques Legendre, figure de proue du combat pour le français dans notre région.

Un constat souvent accablant

Le pourquoi de cette session extraordinaire ? La publication, sous l’égide de l’association Le Droit de comprendre, d’un rapport sur la situation de la langue française, en France et dans les institutions de l’Union européenne. Le moins que l’on puisse dire est que, dans un premier temps, celui-ci n’incline guère à l’optimisme : monolinguisme et anglomanie continueraient de faire leur chemin, fût-ce d’une manière plus rampante, plus « honteuse » que par le passé.

Le phénomène serait d’abord sensible dans le monde du travail, où conseils d’administration et de direction se tiennent de plus en plus souvent dans la langue de Shakespeare (ou du moins, ce qu’il en reste !) ; sur le terrain de l’enseignement (supérieur surtout, mais le monopole de fait dont jouit l’anglais au sein de l’enseignement élémentaire se révèle également préoccupant, en dépit des paroles rassurantes du ministre de l’Éducation nationale, Jack Lang) ; dans l’armée enfin : quand la grande muette brise le silence, c’est presque toujours pour transmettre ses consignes en anglais, et ce quand il s’agirait de manœuvres spécifiquement françaises !

Est-il besoin de préciser que la dégradation est tout aussi patente à l’échelon de l’Europe, où l’on trouve de moins en moins nécessaire de traduire dans les idiomes nationaux une langue réputée « aisément compréhensible » de tous les Européens ou presque ?

Après Zebank, The Bourse ?

Partant, il ne s’écoule pas une semaine sans que notre langue enregistre une baisse sensible de ses actions. Le dernier coup bas en date a eu pour théâtre la Bourse : les prospectus financiers destinés aux épargnants et accompagnant les émissions d’actions ou d’obligations, les OPA et autres, ne seraient plus forcément rédigés en français, mais dans une « langue usuelle en matière financière », suivez notre regard !

Si l’Assemblée a donné sans sourciller son aval à ce projet auquel s’était pourtant opposé le Conseil d’État il y a quelque six mois, le Sénat menace le gouvernement d’un recours devant le Conseil constitutionnel si les choses devaient aller trop loin et compromettre par là même l’information des usagers. Affaire à suivre, donc, mais qui en dit long sur la propension de certains, en haut lieu, à jeter le français... à la corbeille !

Des raisons d’espérer

Pourtant, tout n’est pas si sombre dans ce livre blanc. On y lit aussi que ce combat en faveur du plurilinguisme, hier jugé d’arrière-garde et facilement noyé sous les quolibets, est aujourd’hui plus volontiers relayé par les médias ; que çà et là des îlots de résistance se font jour, notamment dans des secteurs que l’on croyait depuis longtemps gagnés à l’anglais (transports internationaux, établissements bancaires et financiers, assurances, recherche).

Ladite résistance émane souvent de la base et des représentants syndicaux d’entreprise, c’est vrai, mais certains dirigeants eux-mêmes se surprennent tout à coup à douter du bien-fondé du « tout-anglais ». Est-ce parce qu’il a été récemment nommé dans l’ordre de la Carpette anglaise ? Toujours est-il que M. Louis Schweitzer, président-directeur général de Renault, semble avoir sur ce point enclenché la marche arrière.

Avec lui, ne sont-ils pas de plus en plus nombreux à constater que l’usage, au sein d’une entreprise francophone, d’une langue autre que le français débouche presque inévitablement sur une perte d’efficacité ? Voilà bien le seul argument que soient souvent disposés à entendre des décideurs plus épris de rentabilité que de culture : à n’en pas douter, c’est celui qu’il conviendra désormais de privilégier...