QUÉBEC

Montréal :
comment ne pas s'en souvenir ?

supplément du 7 mars 2010

C'est la devise du Québec, laquelle orne jusqu'aux plaques d'immatriculation : « Je me souviens. » Le cri d'un cœur qui, obstiné, continue de battre au rythme de la Nouvelle-France. C'est que le passé, sur ces terres jeunes, se fait trop rare pour qu'on l'oublie : on le cultiverait bien plutôt comme une plante en pot ! Séjournez quarante-huit heures à Montréal et la noble formule se parera pourtant d'une touche plus personnelle. C'est vous qui vous souviendrez à jamais de cette ville. Simplement parce qu'elle est inoubliable.

Non que le charme, prenez-y garde, opère d'emblée. Celui qui, nouveau colon, croyait arriver en pays conquis en est d'abord pour ses frais. Montréal est décidément, définitivement, une ville nord-américaine. Certes, les immeubles y grattent le ciel d'un index moins altier qu'aux « States » — on apprendra un peu plus tard que leur hauteur ne saurait décemment excéder les 234 m du mont Royal, éminence sacrée entre toutes —, mais on s'y tromperait aisément, à cet autre détail près qu'ici les rues parlent français. On les comprend d'ailleurs mieux que l'autochtone, qui, pour se venger sans doute, vous fait observer que, de votre côté, vous avez l'accent belge ! Il faut surmonter ce coup de froid initial, auquel la température extérieure, clémente pour tous, pour vous polaire, n'est sans doute pas étrangère. Se dire qu'une ville qui a remis droit dans ses bottes un Alain Juppé outragé, brisé, martyrisé — mais aujourd'hui libéré ! — ne saurait laisser indifférent. Chercher sous l'os des apparences une moelle que l'on devine substantifique : comment ne se sentirait-on pas proche du paradis dans une cité jadis baptisée Ville-Marie, et dont le moindre cul-de-sac — la voie sans issue du cru — porte le nom d'un saint ?

Ce ne sera pas long. Le temps de porter vos pas jusqu'aux berges alanguies du... Saint-Laurent, là où furent tracées, d'une main qui ne tremblait pas, les premières lignes d'une histoire où la France jouait encore les premiers rôles. De ce côté-ci de Montréal, la basilique a un faux air de Sainte-Chapelle, la maison se fait bretonne, le balcon gaullien. On y parle toujours, fût-ce sans y croire, de « déplacer l'infâme statue de Nelson pour installer au sommet de sa colonne celle de Jacques Cartier, qui serait à sa place sur la place du même nom. » Voilà qui a tôt fait de réchauffer le cœur, s'il se serre du même coup : la France, elle les a laissés tomber. Et de cela non plus, ne doutez pas qu'ils ne se souviennent.

Pas sûr, au demeurant, que la ville y ait perdu. Si elle se cramponne, avec l'énergie du désespoir parfois, à ses racines, de peur de devoir un jour borner ses ambitions à devenir un « Toronto de deuxième classe », elle s'enorgueillit aussi de ces différences dans lesquelles, elle le sent confusément, pourrait bien résider son principal atout. Si Montréal n'est pas, il s'en faut, un modèle d'unité architecturale — de ce point de vue, sa place d'Armes, carrefour de tous les styles et de toutes les influences, constitue même un musée à ciel ouvert —, elle est la preuve vivante, et finalement trop rare par ces temps de mondialisation galopante, que les cultures peuvent cohabiter sans se renier, à l'image de ces allées, tantôt rectilignes à la française, tantôt sinueuses à l'anglaise, qui traversent le parc Lafontaine : autant qu'à Rome, tous les chemins ne mènent-ils pas à la beauté ? Ici, les quartiers anglo-saxon, portugais, italien, juif sont venus se déposer, par strates successives, sur le terreau français des origines, en s'éloignant seulement, chaque fois un peu plus, du fleuve. Montréal, ce n'est peut-être rien d'autre, au fond, qu'une Babel où l'on se comprendrait...

En témoignent, s'il en était besoin, cet appétit de culture, cette frénésie festive et festivalière qui font la fierté de la deuxième ville francophone au monde. Mais, là encore, le cordon ombilical n'est pas coupé : les « Francofolies » fleurent bon le fraîchin de La Rochelle, et il flotte dans « Montréal en lumière » comme un parfum de Fourvière...

Quand on dit merci à un Montréalais, il vous répond du tac au tac : « Ça m'a fait plaisir ! » Libre à vous de ne voir là qu'une formule. Ce qui est sûr, c'est qu'avec le spectre du retour grandira l'envie, à en devenir irrépressible, de vous inscrire en faux. De répliquer à votre tour : « Non, le plaisir a été pour moi. »

Et, pour la première fois de votre vie peut-être, il ne s'agira pas d'une formule.

 

Retrouvez cet article (avec les photos qui l'accompagnent) dans sa présentation originale, tel que La Voix du Nord l'a publié : PAGE 1, PAGE 2.