Présentation du recueil de nouvelles :
Les Allées d'Étigny
Centre socio-éducatif d'Hazebrouck, 5 octobre 1991
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, chers amis,
Vous me pardonnerez de vouloir gagner un peu de temps en ne citant personne, car je sais les autorités retenues à 17 h 30 par l'inauguration de la ducasse de la Chapelle Vandamme et de l'Étoile. Quand bien même le jeu de mots pourrait paraître tentant, je m'en voudrais de prendre la place de l'Étoile ; aussi ne chercherai-je pas à briller, me contentant de quelques mots rapides autour du berceau.
Quand, dans une famille, un enfant naît huit ans après les autres, il n'est pas rare que l'on parle d'abord d'accident. Ce qui n'empêche pas le petit dernier, le moment de surprise passé, de devenir très vite le chouchou. Celui-ci, je le pressens, tiendra beaucoup de son père. Les précédents, je n'ai pour ainsi dire pas pris le temps de les faire. Vous savez ce que c'est, monsieur le maire, la fougue de la jeunesse... Ce dernier-né est, en revanche, l'œuvre de l'homme mûr, un peu blet même si j'en juge par la teinte grisâtre que prennent mes cheveux ces derniers temps...
Je me dois de rendre hommage à ma femme : elle n'a pas pris la chose au tragique, elle a même plutôt bien avalé la pilule. Vous me direz : elle aurait mieux fait de l'avaler avant. Mais cela n'aurait pas changé grand-chose dans la mesure où, autant tout vous dire, l'enfant n'est pas d'elle. Elle a d'ailleurs été très bien : elle l'a immédiatement reconnu. Je le lui ai même dédié, ce bébé porte son nom, vous le constaterez dès la première page. Ça ne coûte pas cher et puis ça fait toujours plaisir. D'autant que ça tombe bien pour nos quinze ans de mariage : au lieu du collier de perles, elle aura eu un collier de mots. Pour moi, les plus belles noces seront toujours de papier.
Mais je sens que j'ai piqué votre curiosité sans totalement la satisfaire : on n'est pas en Flandre pour rien ! Eh bien oui, cet enfant-là, je l'ai fait avec Colette David. Vous vous en étiez d'ailleurs doutés : il lui ressemble. Que dire de Colette qui n'ait déjà été dit ? Peut-être, tout simplement, que comme mère porteuse on ne fait pas mieux : elle vous livre la marchandise au jour dit, et ne vient plus la réclamer ensuite, elle est beaucoup trop discrète et trop modeste pour ça. Mais je sens que je vais lui jeter des fleurs et il vaudrait mieux que je lui en offre, les femmes ont toujours préféré les actes aux paroles. Un grand merci, Colette. Sans toi, mes rêves seraient encore en noir et blanc !
Les gosses, ce n'est pas tout de les faire... il faut encore les mener à terme ! La première fois que je suis allé sonner au cabinet d'obstétrique du docteur Antoine Bedoy, c'était en février. Faites le compte, les neuf mois y sont. De M. Bedoy, je ne dirai qu'une chose : c'est un grand patron. Il a tout prévu, tout minuté, il s'est même employé à rassurer le père, qui est un anxieux de nature. Mieux, à certains moments, j'ai eu l'impression qu'il considérait cet enfant comme le sien. Et ce n'est pas la note d'honoraires qu'il m'a fait parvenir hier matin qui me fera changer d'avis. J'ai bien compris qu'il fallait n'y voir qu'une formalité administrative. J'ai d'ailleurs aussitôt envoyé le tout à la MGEN. On verra bien !
Mais à grande clinique, personnel de qualité : de la standardiste à la sage-femme en passant par l'interne de page de garde, je n'ai trouvé partout que conscience professionnelle et souci de bien faire. Là encore, il m'est arrivé d'être jaloux : cet enfant devenait décidément l'affaire de tous. À présent que me voilà rassuré, je mesure mieux ce que je dois aux uns et aux autres. Ils ne m'en voudront pas, je l'espère, si, même maladroitement, je tente de leur prouver ma reconnaissance. En leur remettant une photocopie certifiée conforme de l'enfant, d'abord, ainsi qu'une touche de couleur ou de saveur...
Mme Corinne Vanpoulle, à ses heures perdues, est claviste. C'est elle qui a vu l'enfant pour la première fois. C'est sous ses doigts qu'il est né. Des choses comme celles-là s'arrosent, à l'image de ces quelques fleurs...
M. Jean-Michel Vanbleus a inspecté l'enfant sous toutes ses coutures. S'il était encore un peu jeune pour le mettre à la page, il l'a du moins mis en pages. Jusqu'au bout, il aura fait l'impossible pour éviter que ne se produise une tuile. Il ne m'en voudra pas si, en guise de clin d'œil, je lui en offre toute une boîte : il les dégustera en pensant à moi...
On m'a confié que M. Dominique Lemaître travaillait au labo. Dans une clinique, quoi de plus normal ? Je mentirais en affirmant connaître avec précision la nature des analyses qu'il a effectuées, mais je me suis laissé dire que son travail était tout sauf du gâteau. J'espère que ce chocolat contribuera à le lui faire oublier.
Quant à M. Richard Decool, il a enveloppé l'enfant de sa couverture. C'est un peu grâce à lui si le bébé, de l'avis de beaucoup, est à croquer. Là encore, les chocolats s'imposaient.
Vous me permettrez de casser un court instant le fil de la métaphore mais, blague à part, j'ai longuement cherché quel compliment je pourrais faire à L'Indicateur. Je craignais de n'en pas trouver qui fût à la hauteur de ma satisfaction. Il faut vous dire que je ne sais pas faire de compliments. Demandez à ma femme. Ma seule excuse est de ne pas m'en décerner davantage à moi-même. Finalement, j'ai pensé que le mieux serait de vous rapporter un propos de ma fille. La vraie, cette fois. Comme je revenais, le livre sous le bras, il y a de cela quelques jours, après en avoir pris livraison chez l'imprimeur, je suis allé à la rencontre de ma femme pour lui dire, au diable l'avarice : « Je suis content ! » Ma fille a alors relevé la tête, comme interloquée. Elle a regardé sa mère et elle a fini par lâcher : « Maman, c'est la première fois que j'entends papa dire qu'il est content. » Pour la petite histoire, ma fille aura onze ans dans quelques jours. Voilà, j'ai eu beau chercher, je n'ai pas trouvé de compliment plus sincère. J'espère que toute l'équipe de L'Indicateur l'appréciera à sa juste valeur.
Quand on baptise un enfant, il s'agit aussi de ne pas se tromper de chapelle. J'ai choisi la fidélité, et fait confiance au CSE. D'abord parce que le culte du beau s'y célèbre depuis plus de vingt ans et que la culture s'y sent comme chez elle. Ensuite parce que c'est dans cette même salle que Roulottes et Scalpel reçurent votre bénédiction, il y a de cela huit et dix ans déjà, La Voix du Nord s'en faisait l'écho dimanche dernier. Ces Allées d'Étigny se devaient évidemment de suivre la même voie et je tiens à remercier Jean-Pierre Allossery et Patrice Heughebaert, respectivement président et directeur du CSE, d'avoir facilité ce « remake ». Elles se devaient aussi de le faire aujourd'hui, six ans jour pour jour, heure pour heure, après le 5 octobre 1985, une date importante de ma vie, comme dirait un monsieur qui nous vaut de « sacrées soirées ». Vous n'aurez point besoin de trop remuer vos archives pour savoir à quoi je fais allusion. Enfin, il ne manquait plus à ce rejeton qu'un parrain : la tâche revient de droit à Jacques Messiant, tant il est vrai que s'il n'avait pas, le premier, ouvert le chemin de l'autoédition, ces allées auraient tout de la route barrée.
Mais vous avez beau tout prévoir, tout arrêter dans votre tête, le plus grand plaisir pour les parents que nous sommes est encore de faire admirer sa progéniture aux amis que vous êtes. De vous savoir là, si nombreux, le sourire de l'indulgence dessiné sur vos lèvres, je me dis que ces allées-là ne peuvent que tenir la route. À cet enfant de plume, j'ai donné un drôle de nom, qui a déjà beaucoup intrigué : celui d'une avenue de Bagnères-de-Luchon où, à l'aube des années soixante, j'ai passé mes premières vacances de gosse. Celles que l'on n'oublie pas. Celles des rêves fous. Celles que la gomme de la vie, avec ses amertumes, ses déceptions, ses frustrations de toutes sortes, ne parvient jamais à effacer tout à fait. Autant vous le dire tout de suite, vous rirez moins qu'avec le Scalpel et les Roulottes. Si l'humour est encore là, il se teinte de nostalgie, de gravité parfois. De désespoir jamais. C'est en automne que les feuilles sont les plus belles. Même si elles tombent.
Les Allées d'Étigny ont d'ores et déjà reçu la bénédiction de la presse. Elles devraient avoir, ce lundi déjà, les honneurs de la télévision. C'est à croire que les fées se sont penchées sur son berceau. Mais, de vous à moi, ma plus belle consécration serait qu'à l'issue de votre balade, ces allées-là vous semblent un peu les vôtres, dussiez-vous les appeler d'un autre nom...