Un couple aux pièces !
(1991)
Cette espèce de numismate, et surtout l'élu de son cœur, s'était enthousiasmée pour les devises d'Europe centrale : aux monnaies laotiennes du dixième et du onzième siècle que plus d'un connaisseur se seraient arrachées mais sur lesquelles, étonnamment, on ne disposait d'aucunes archives, celui-ci préférait le dinar du Monténégro (si peu coté qu'il fût), le zloty grège de l'ex-Prusse-Occidentale, voire le forint, une pièce magyare que lui avait adressée par exprès, et en échange d'un piètre bakchich, un allogène apparemment éclairé... Ce schilling, aussi, au grènetis certes irrégulier, mais qui aurait appartenu au maître des lieder, et que Laure et Louis, par là même, idolâtraient à l'envi. Les samedi et dimanche de chaque semaine, à midi et demi pile, susdite et susnommé se plongeaient sans plus de façons dans d'ésotériques in-folio, peuplés de listels et de jolies carnèles. Que de tranches, stricto sensu, s'étaient-ils payées ! Combien de fous rires encore, dont ils s'étaient fait, grosso modo, un bouclier — pardon, un écu — contre les angors, les extrasystoles et autres troubles psychosomatiques ! Seule la domesticité, peu encline à jouer les thuriféraires, maronnait in petto, vous fichant son billet que, loin de rapporter le moindre kopeck (les deux drôles n'avaient pas un maravédis), ce capharnaüm les conduirait tout droit au bord du krach : les leva balkaniques ne couvraient guère le prix des yaourts, pas plus que les billons tape-à-l'œil, exhibés en rang d'oignons sur le médaillier de santal, n'étaient convertibles en bank-notes ! Tout en arrosant en zigzag des monnaies-du-pape et des bourses-à-pasteur qui menaçaient ruine — les seuls végétaux, pourtant, dont on pût décemment s'amouracher — les plus évolués de ces gens déploraient que, dans ce cinq-pièces aux azulejos bleu verdâtre, les fleurs se soient toujours vu préférer... les couronnes !