Un triste dénouement
(Merville, 1988)
Emmitouflée dans sa pèlerine bleu clair, les cheveux ébouriffés par un zéphyr qui, bizarrement, tournait au blizzard, Louise décryptait, tout analphabète qu'elle était, les hiéroglyphes à demi effacés du panonceau. Au demeurant il y avait là, qui ânonnaient dans son dos ou bayaient aux corneilles dans une attitude proche de l'imbécillité, les soi-disant piliers de l'établissement : le quincaillier trapu, qu'essoufflait l'emphysème ; la matrone portugaise, arborant sa serpillière ; sans oublier le marchand de pans-bagnats ni son exubérante moitié, que les on-dit avaient fait sortir, en pantoufles, de leur baraque exiguë... À croire qu'ils s'étaient donné le mot, ou qu'on les avait envoyé chercher ! Quoi qu'il en fût, le désaveu était unanime : des informations succinctes que d'aucuns avaient réussi à grappiller, il ressortait que l'on ne regagnerait ses chers pénates qu'une fois son droit de veto reconnu...
Ainsi Louise ne s'était pas laissé raconter de craques : son cinéma allait être abattu. Certes, elle savait le bâtiment caduc, la salle vieillotte, les murs décrépis ; mais va-t'en te résoudre à de tels crève-cœur !
Depuis sa prime jeunesse, elle foulait assidûment les tapis moelleux du « Rex ». Dame ! Pour qu'il y eût contrordre, il lui fallait autre chose qu'un accès de tachycardie... Quelque temps qu'il fît, quelle que fût l'affiche, elle était là. C'est que tout l'intéressait : les documentaires, qui la transportaient au cœur des civilisations grecque et turque, parmi les atolls de l'hémisphère austral, ou encore au milieu de scolopendres effarouchées ; l'entracte prolongé qui permettait de boulotter force petits-beurre tout en louchant, de temps à autre, sur les soutiens-gorge d'une réclame racoleuse ; quant aux films, que de délices ils lui avaient procurées ! Les péplums et leurs oriflammes déployées... Les policiers, où d'indestructibles casse-cou s'assommaient sans le moindre remords... Les westerns, où les revolvers, surgis de carrioles tintinnabulantes, dispersaient les coyotes et les Iroquois imbibés de whisky... Jusqu'aux vaudevilles les plus banals qui, de son propre aveu, la faisaient pouffer ! En fait, seules la rebutaient les outrances du fantastique : ces châteaux forts moyenâgeux, fussent-ils peuplés de loups-garous peu combatifs, lui valaient moult frayeurs quand il lui fallait quitter le fauteuil de moleskine et, de sa démarche claudicante, réintégrer sa cahute...
Mais tout cela était fini. Nulle échappatoire possible ! Ses yeux pervenche s'embuèrent et, ultime fondu enchaîné, l'image des bulldozers se substitua à celle de ses acolytes, qui s'époumonaient tous azimuts.