La valse à mi-temps

(Nivelles, 1995)

Quand tu es mort, ô poète, tous tes amis pleuraient. Aucunes funérailles solennelles, certes, où un bedeau bedonnant et à demi décati eût vibrionné autour du catafalque ; où, entre les patenôtres rituelles, dames patronnesses et bigotes un rien claudicantes se seraient disputé, comme chiffonnières, les cordons bleus du poêle... Nul panégyrique, pas la moindre plaidoirie sentencieuse à l'usage de badauds en baguenaude ou de foules collet monté... Mais les boscos, quartiers-maîtres et autres loups de mer d'Amsterdam se vengeant, bière pour bière, sur les cadavres de leurs assommoirs ; mais l'accordéoniste étouffant dans son soufflet bariolé les trilles aigus et les flonflons, pour l'heure incongrus, du musette ; mais quantité de petites gens, incrédules, abasourdis à l'idée que tu aies pu, tout de go, les quitter. Madeleine elle-même devait être du nombre, enfin marrie de tous les lapins qu'elle t'avait posés, versant une larme tardive mais sincère sur tes lilas flétris...

Depuis que, sur un de ces long-courriers qui arrachent aux amants d'Orly d'hystériques bécots, tu as survolé pour la dernière fois les profondeurs hadales ; que, boycottant le décorum et ses giries melliflues, tu as dissous les litres noires dans les bleu-vert de tes chers antipodes, nos pays nous semblent plus plats, nos bonbons plus surs, nos vieux plus vieux. Lasse de ressasser ses oui et ses non, la neuchâteloise du salon s'est tue, plus sphinge que jamais. Frappées d'obsolescence, les déclinaisons d'antan se sont vues atterrir sur les roses. La valse, riche hier de quelque cent mille voltes, ne se danse plus qu'à mi-temps... Qui, désormais, flanqué d'un genet lui-même surmonté d'un Sancho pansu, lancera sa rossinante caparaçonnée, quoique étique et boiteuse, à l'assaut de nos moulins à vent ? Qui, don Quichotte d'outre-Manche, rompra en visière aux goualantes, aux scies anglo-saxonnes ? Qui, mieux que par d'inefficaces quotas, éperonnera une chanson française mollassonne ?...

Pourquoi ont-ils tué Brel ? Les dieux, pour l'empyrée, devaient manquer d'un histrion. D'un baladin qui les récréât. Mais nous autres, ici-bas, on n'oublie rien de rien.

On ne s'habitue pas, c'est tout.

 

TEST

Mitron, il ne lui apportait pas que des bonbons. Outre les halvas, les calissons et les pralines, il déposait, bonne pâte, aux pieds de sa dulcinée de jolies forêts-noires, des croquembouches démesurés et, naturellement, force puits d'amour. Un jour, même, il piqua un far à son patron. Las ! la nénette, qui n'avait rien d'une nonnette, roulait le garçon pâtissier dans la farine et collectionnait les bâtards... L'amour, quoi qu'on en dise, ce n'est pas toujours du gâteau !