Micheline ou le train-train

(Lire, 1986)

à Micheline Sommant

Quelques affres qu'il m'ait values, quelque apocalyptiques — et fatigantes pour l'hypothalamus — que se soient avérées la plupart de ses heures, quels qu'aient pu être les échauffourées, les différends, les cyclones même qu'il a fait naître dans le microcosme familial, je regretterai l'an de grâce mil neuf cent quatre-vingt-cinq. Tout exorbitante que fut la tâche, si parsemée d'embûches que se révélât cette balade, obsolète et tatillonne au dire de beaucoup, parmi les chausse-trapes les plus ambiguës de notre capricieux idiome, quand bien même ladite balade nous eût dessillé les yeux, voire convaincus de notre peu de jugeote, tout valait mieux que l'ébouriffant anathème : hors concours !

Ces tenthrèdes aux élytres dorés que j'ai vues voleter par myriades, ces films que j'ai vu tourner nonobstant l'oppressante menace de cumulonimbus gris anthracite, ces agapes, sophistiquées s'il en fut — plus de profiteroles, dans les garde-manger de l'amphitryon, que d'échalotes et d'artichauts ! —, et qui dégénéreront pourtant en un tohu-bohu ô combien infamant, tous ces événements qu'ingénument j'ai eu à subir, va-t'en, autrement qu'à contrecœur, les chasser de tes réminiscences !

Sans les saynètes bouffonnes de Micheline, loin des oracles sibyllins que, nouveau sphinx, l'inénarrable Pivot susurre avec bonhomie dans les haut-parleurs, ne m'abîmerai-je pas dans un train-train assommant ? Pourrai-je, sans recourir au psychiatre ni verser dans l'éthylisme, me débarrasser d'un monde où l'on flatte de la moufle le mufle boursouflé des buffles, où l'on s'empiffre en engouffrant, sans esbroufe déplacée, force gaufres bouffies de cassonade, où l'on traite le catarrhe en humant aussi bien l'enivrant effluve des lauriers-sauce que l'exhalaison douceâtre du forsythia ?

M'accommoderai-je, enfin, de cette fâcheuse tranquillité, dont je ressens déjà les traîtres contrecoups : l'urticaire, entre autres, s'est installée. À quand l'érysipèle ?

Mais assez sangloté... Au temps pour moi ! Mieux vaut, en l'occurrence, exhorter les nouveaux venus. Vous tous qui vous êtes inscrits à ce gymkhana de l'intellect, dussiez-vous en ressortir exsangues, courbatus, marqués de cernes violacés ou tachetés d'ecchymoses pourpres, tirez parti de mon faux pas : raflez le plus d'accessits possible, mais ne soyez pas de ceux qui franchiront bons premiers la banderole !

Ici, on ne vainc qu'une fois... Alors agrippez-vous !