Ces dernières semaines,
tout le monde n'aura pas
forcément été sur le pont !
Il est des mots qui, dans la langue, occupent une place particulière. Pont est de ceux-là, et pas seulement, n’en déplaise aux aigris, parce qu’il symboliserait un rab de repos au pays supposé du farniente…
Pour être honnête, rien ne prédisposait il y a presque mille ans ce punt, vestige du latin pontem, « construction reliant deux points séparés par une dépression », à une carrière aussi prolifique ! Or, le pont est aujourd’hui partout, il suffit de parcourir le dictionnaire pour s’en persuader : mécanique auto, manutention, horlogerie, anatomie, biologie, chimie, électricité, gymnastique, lutte, football, théâtre, navigation, guerre, aucun de ces domaines ne lui est étranger. Nos cousins québécois ajoutent même à cette liste la chirurgie dentaire, en appelant pont ce que nous autres nommons impunément bridge, et nos amis belges la banque, puisque notre prêt relais a chez eux des allures de… crédit pont !
Jusqu’au pape qui, si l’on en croit l’étymologie (pontifex), serait un « faiseur de ponts » ! Aucun rapport, évidemment, avec le fait qu’en mai nous en devons plus d’un à des fêtes religieuses. Mais il est vrai qu’il entrait dans les attributions des ministres du culte d’alors de bâtir des ponts.
Ce qui est sûr aussi, c’est que le langage populaire n’aura pas tardé à mettre ledit pont à toutes les sauces. On est dessus et on y reste pour faire la preuve de sa capacité à agir ; on couche dessous quand les finances vont mal ; on le coupe, et tous ses semblables avec lui, pour rompre avec quelqu’un ; on aime à rappeler, à la première bouffée de nostalgie, que beaucoup d’eau a coulé sous lui ; on le fait en or pour attirer quelqu’un dans ses filets…
Ce que l’on ne sait pas toujours, c’est que « faire le pont » n’est en rien l’apanage de l’ingénieur des Ponts et Chaussées, du gymnaste qui renverse le corps en arrière en prenant appui sur les jambes et les bras tendus, ni du travailleur trop heureux de chômer un jour ouvrable pour arrondir son temps de loisir : c’est aussi le pain quotidien du tricheur professionnel cornant une carte afin que l’adversaire appelé à couper le jeu le fasse là où il faut.
Même les ânes ont leur pont puisque c’est ainsi que l’on désigne, chez les matheux, la démonstration, réputée basique, du théorème de Pythagore et, partant, tout ce qui paraît trivial aux crânes d’œuf. Il n’y a pourtant pas là de quoi braire, même pour un chti !