En grammaire aussi il y a...
un côté obscur de la force !
Votre serviteur n'est sans doute pas le seul à avoir été choqué par ce qu'il a lu et entendu à l'occasion de la finale de la Coupe de France de football : « 3 000 forces de l'ordre mobilisées autour du Stade de France. »
Laissons évidemment le fond de côté : certes, il y aurait matière à s'étonner, dans l'absolu, que l'on se trouvât contraint de déployer de tels moyens pour encadrer une manifestation supposée festive, mais nous outrepasserions là les attributions du chroniqueur de langue. Ce qui en relève, en revanche, c'est la perplexité que peut provoquer, sur un plan strictement grammatical, un tel décompte.
Quelle définition donnent en effet de ces forces de l'ordre nos dictionnaires ? « Ensemble des agents de l'autorité chargés de faire régner l'ordre public et de faire appliquer la loi », propose le Wiktionnaire en ligne. Le Petit Robert parle, de son côté, de « la police et de la gendarmerie intervenant en cas de troubles ». Autant dire qu'il s'agit à chaque fois d'un collectif, qui, a priori, ne se prête guère à une individualisation de ses membres. De toute évidence, le mot forces est, dans cette acception, un nom exclusivement pluriel, qui ne saurait souffrir qu'on le décompose, ce à quoi aboutit fatalement une évaluation chiffrée.
En d'autres termes, parler de « trois mille forces de l'ordre » implique que l'on puisse théoriquement les compter une par une. Mais peut-on parler d'un policier ou d'un gendarme comme d'« une force de l'ordre » ? Une force de la nature, on le souhaite vivement à l'intéressé, surtout en ces jours troublés où le maintien de l'ordre n'a rien d'une sinécure. Un représentant des forces de l'ordre, oui ; un membre desdites forces, à la bonne heure… Mais une force ?
Le Wiktionnaire dont nous parlions plus haut souligne lui-même que, s'il arrive à l'expression concernée de désigner les personnes qui font partie de l'ensemble susdit, cet usage reste « critiqué ». Nul ne s'en étonnera, à la lecture des exemples fournis : « Des enfants de forces de l'ordre auraient également été victimes de moqueries » (Le Figaro) ; « Sept conjointes de forces de l'ordre ont manifesté… » (France 3). Un tantinet baroque, vous ne trouvez pas ?
Ce qui n'est que trop sûr, en revanche, c'est que, s'il est difficile de s'adresser à une force de l'ordre, la force du désordre se manifeste, ces derniers temps, de façon singulière…