Défiance à l'égard du monde politique :
n'allons pas en remettre !

< dimanche 8 mai 2022 >
Chronique

Combien de fois n'avons-nous pas entendu ou lu, ces dernières semaines, que les candidats « battaient la campagne » pour persuader les électeurs de France et de Navarre du bien-fondé de leur programme ?

Gageons que l'ambivalence du mot campagne — lequel renvoie aussi bien, en l'occurrence, à la campagne électorale qu'à ces « territoires » qui, pour le pire plutôt que pour le meilleur, ont remplacé notre province d'hier — n'est pas pour rien dans le succès de la formule. « Jeu de mots ! », aurait malicieusement lâché, l'index en l'air et se trémoussant d'importance sur son siège, le maître Capello des mythiques Jeux de vingt heures...

Au demeurant, rien d'inadéquat dans cette façon de s'exprimer. L'Académie, qui doit compter dans ses rangs de nombreux chasseurs, voit, dans cette façon de « parcourir la campagne en tous sens », un moyen de « faire lever le gibier ». Le Petit Larousse ajoute à cette motivation celle d'« inquiéter l'ennemi », mais le « etc. » qui suit peut bien inclure, pourquoi pas, la propagande électorale ! Son confrère Robert, plus large de vues, propose pour définition « parcourir pour rechercher ». Pourquoi pas des voix ? Bref, rien qui, au sens propre, interdise de recourir à ce tour pour envoyer nos politiciens « tracter » sur les marchés !

Pour peu que l'on y réfléchisse, pourtant, il s'en faut que ladite formule soit à l'avantage de ces derniers. Pour peu que l'on se souvienne, surtout, de La Fontaine et de sa fable La Laitière et le pot au lait : « Quel esprit ne bat la campagne ? Qui ne fait châteaux en Espagne ? Picrochole, Pyrrhus, la Laitière, enfin tous, Autant les sages que les fous ? »

L'esprit qui bat la campagne — et, par métonymie, le propriétaire de l'esprit dont on parle —, c'est en effet, et depuis des siècles, celui qui « déraisonne, divague » (Larousse), « extravague » même (Robert). Le glissement de sens s'explique aisément, selon l'Académie toujours, puisqu'un orateur qui bat la campagne « s'écarte de son sujet, se perd en digressions ».

Pas sûr que cette extension de sens soit de nature à revaloriser l'image de notre classe politique, par ces temps d'abstentionnisme galopant ! La propension à assimiler les professions de foi de nos candidats à des catalogues de promesses où l'on rase gratis est trop prégnante pour que l'on se risque à user, à leur encontre, de propos qui ressortissent à l'élucubration...