« Matcher »,
un anglicisme à géométrie variable...

< dimanche 10 avril 2022 >
Chronique

Dans la série (beaucoup trop fournie) des anglicismes dont on pourrait aisément faire l'économie, le verbe matcher. L'histoire serait presque belle, si, à y regarder de plus près, elle n'était avant tout navrante.

La première vague de contamination date de la fin du XIXe siècle, dans le droit fil d'un match qui, lui, s'est parfaitement intégré, au point de ne plus provoquer le moindre froncement de sourcils désormais. Le verbe matcher, à cette époque, signifiait soit « disputer une rencontre », soit, transitivement cette fois, « affronter (quelqu'un) dans une compétition » (un peu le « jouer un adversaire » que l'on critique aujourd'hui). Ces deux emplois ont rapidement vieilli, et ce, d'autant plus aisément qu'ils n'avaient déjà plus cours outre-Manche quand ils sont arrivés chez nous.

Tout cela ne serait donc plus qu'un mauvais souvenir si nos cousins québécois n'avaient cru bon, vers le milieu du siècle suivant, de relancer le vocable en créant un variant. S'inspirant du sens que revêtait match dans le vieil anglais (« partenaire », donc égal autant que rival), ils l'ont fait évoluer vers « assortir deux choses », « faire se rencontrer un jeune homme et une jeune fille », voire — autre anglicisme — « flirter » !

Dès lors, on ne s'étonne plus de cette deuxième vague (en chat échaudé, on n'ose écrire seconde) qui nous vaut actuellement d'entendre un peu partout que « ça matche entre celui-ci et celle-là ». Si Larousse marque implicitement sa désapprobation en n'introduisant pas cet avatar dans sa nomenclature, Robert, lui, n'hésite nullement, et sans autre précaution oratoire qu'anglicisme familier, à le définir par « s'accorder », « aller bien avec », « correspondre » (surtout dans le jargon informatique).

Tête-à-queue terminologique de gala puisque, par le biais du même terme, on en arrive à s'entendre aujourd'hui... avec ce que l'on affrontait hier !

Faut-il de surcroît remarquer que le français avait, pour exprimer cette parfaite complémentarité, tout ce qu'il fallait en stock ? Les définitions qui précèdent le démontrent sur le terrain du langage soigné, mais, dans la langue familière elle-même, « ça colle » et « ça marche » n'avaient pas grand-chose à envier à cette horreur revenue jouer les prolongations un siècle et demi plus tard. Gageons pourtant qu'il s'en trouvera beaucoup moins pour dénoncer ce « matchisme » que son homonyme sans « t » !