Et si l'on réfléchissait
un tant soit peu à ce que l'on dit ? (5/5)

< dimanche 27 mars 2022 >
Chronique

Les meilleures choses ayant une fin, pourquoi ne pas terminer cette « minisérie » avec ce qui apparaît, à bien des égards, comme le classique du genre, à savoir le (trop) fameux « vous n'êtes pas sans ignorer... »

Un authentique cas d'école que celui-là, ou l'on se trompe fort ! À l'origine, quelque chose qui ressemble à une précaution oratoire, digne de tous les traités de savoir-vivre : il importe de ne point froisser inutilement son interlocuteur, de ne pas lui renvoyer comme un miroir son ignorance crasse. On ne souhaite rien tant, évidemment, que de lui faire découvrir quelque chose qu'il ne sait pas, mais on feint de n'en rien croire, pour ne point trop lui faire sentir son infériorité. A-t-on jamais vu mœurs plus policées, on vous le demande ?

Cela dit, n'allons pas jusqu'à nous tresser de vaines couronnes : chacun sait, depuis Le Misanthrope d'un certain Molière, combien il peut être périlleux d'étaler sa culture aux pieds de qui n'en a pas, ou peu. Partant, la retenue dont on parle doit souvent plus à la crainte de nous faire un ennemi acharné à notre perte qu'à une modestie sincère et désintéressée...

À l'arrivée, quoi qu'il en soit, difficile de faire plus maladroit ! Car, pour peu que ledit interlocuteur y regarde d'un peu près, c'est tout le contraire qu'il est amené à comprendre : les deux négations (ne... pas et sans) ayant vocation à s'annuler, ne lui reste sur les bras qu'un terme à connotation péjorative (ignorer). « Ne pas être sans ignorer », c'est donc ignorer, ni plus ni moins ! En voulant ménager son prochain (ou plus probablement, comme on l'a vu, s'épargner son ire), on l'a en réalité mortifié.

On ne se demandera pas très longtemps comment les intentions les plus pures (en apparence, du moins) ont pu déboucher sur un fiasco de cet acabit : la faute en revient, sans l'ombre d'un doute, à cette manie de faire compliqué quand on peut faire simple, de multiplier jusqu'à plus soif les circonlocutions quand une expression directe ferait bien mieux l'affaire. Que n'a-t-on donc recouru, en l'espèce, à « vous n'êtes pas sans savoir », « vous n'ignorez pas que », voire, plus simple encore, à « vous savez que » ? Comme le disait l'avisé Boileau dans son immortel Art poétique, « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement ». Nous nous permettrons tout au plus d'ajouter : et réciproquement !