Et si l'on réfléchissait
un tant soit peu à ce que l'on dit ? (2/5)

< dimanche 6 mars 2022 >
Chronique

Après la « promenade en chiens de traîneau » de la semaine dernière, le très prisé « café gourmand » de nos cartes de restaurant ! Est-il encore quelqu'un pour se récrier contre une telle formulation ?

L'Académie, en tout cas, ne s'en prive pas : « Le gourmand n'est plus celui qui mange, constate-t-elle, mais ce qui est mangé. » Et de poursuivre : « On parle maintenant de produits gourmands, de desserts gourmands, et de bien d'autres encore, quand il aurait suffi que ces produits ou desserts soient pleins de goût ou savoureux. (...) On ne suivra pas cette mode et l'on n'emploiera gourmand que pour qui aime les plaisirs de la table et de la chair ». (Gageons qu'un Pivot malicieux eût écrit « de la chère et de la chair » !)

Stricto sensu, on ne peut que donner raison à la noble assemblée : l'illogisme est patent. Qu'une mine ou des lèvres soient qualifiées de gourmandes, passe encore, la métonymie nous y a habitués depuis longtemps. Mais que l'on en vienne à faire saliver ce qui est censé nous faire saliver, voilà qui, convenons-en, est autrement difficile à... avaler !

Avouerons-nous toutefois qu'en l'espèce — et pour peu, effectivement, que l'on n'aille pas en faire une mode — l'indulgence nous guette ? Faut-il rappeler que la langue fait dans l'expression autant que dans la communication ? que les écrivains ne se sont jamais interdit de jouer avec elle, dédaignant le sens littéral à seule fin de faire image ?

Qui ne se souvient, dans Les Chants du crépuscule, de ce marchand que Victor Hugo nous décrivait « penché sur son comptoir avide » ? Cette avidité-là n'était-elle pas aussi invraisemblable que la gourmandise du dessert ? Chacun sentait pourtant qu'elle était surtout celle du marchand et qu'elle prenait, par le biais de l'hypallage — c'est le nom (féminin) de cette figure de style qui consiste à qualifier certains noms d'une phrase par des adjectifs convenant à d'autres noms de la même phrase —, un tout autre relief.

Alors oui : « café accompagné de mignardises » serait plus fidèle à la réalité que « café gourmand ». Mais tellement plus plat et plus lourd, à l'heure de clore un menu. Tellement moins... gourmand ? C'est vous qui l'aurez dit ! Et le Petit Robert avec vous, qui cautionne désormais l'acception « qui permet de donner libre cours à sa gourmandise ». Dès lors, que demande le peuple ?