Pourquoi dit-on qu'on pédale...
dans la choucroute ?

< dimanche 24 octobre 2021 >
Chronique

L'auteur de ces lignes reconnaît humblement qu'il ne s'était jamais sérieusement posé la question. Sur combien de ces locutions imagées, imposées par la seule force de l'habitude, ne nous retournons-nous plus ?

Pour l'avoir fait, ce qui est déjà louable en soi, les esprits les plus curieux se seront répondu que l'on pédalait bien dans la semoule, la purée, le couscous, le yaourt (voire, chez les inconditionnels de la dictée de compétition, dans la cancoillotte), pourquoi diable s'interdirait-on de le faire dans la choucroute ? Et la question se sera retrouvée enfouie au fin fond de la poche de l'oubli, le mouchoir par-dessus.

Il aura fallu que sorte cette semaine, aux éditions Le Robert, un passionnant ouvrage consacré à 150 drôles d'expressions de la cuisine qui ne manquent pas de sel pour que la lanterne de votre serviteur s'éclaire enfin sur cette expression que, autant l'avouer, il ne rattachait plus même au cyclisme : cela fait tellement longtemps que le verbe pédaler a raccroché le vélo pour signifier, au figuré, quelque chose comme « patauger, se dépenser en pure perte » ! Pourtant, ce seraient bien les routes du Tour de France (de préférence de plus escarpées que les nôtres) qu'il conviendrait d'emprunter pour remonter aux sources de cette locution haute en couleur.

Personne n'ignore en effet que le cauchemar des coureurs a toujours été, aujourd'hui comme aux temps héroïques des pionniers, d'avoir à terminer l'étape dans ce que chacun appelle la voiture-balai, métaphore ô combien amère pour tous ceux qu'une chute ou une défaillance ont définitivement... nettoyés. Eh bien, figurez-vous que, par la grâce d'une de ces métonymies dont notre langue a le secret, ladite voiture-balai avait reçu, dans le jargon que l'on sait pittoresque des premiers forçats de la route, le surnom de choucroute !

L'explication en est simple : la « réclame » avait beau n'en être alors qu'à ses débuts, elle sévissait suffisamment pour que le panier à salade de nos coureurs fût tapissé de panneaux publicitaires chantant les louanges d'une marque de choucroute. Partant, il est aisé de deviner pourquoi les infortunés qui, à leur corps défendant, y avaient recours étaient censés pédaler dedans jusqu'à la ligne d'arrivée !

Voilà une expression qui, pas plus que de sel, ne manque donc de selle...

 

150 drôles d'expressions de la cuisine qui ne manquent pas de sel, par Marcelle Ratafia et Yves Camdeborde, 320 p. 13 x 16,5 cm, 12,90 €.