Il y a plus d'une façon
de « se voir »... et c'est tant mieux !
S'il est une chose entre toutes que l'usager du français admet difficilement, c'est que l'on puisse, dans certaines circonstances, user de l'infinitif pour exprimer une action que l'on subit.
Aussi votre serviteur n'a-t-il pas été outre mesure surpris, il y a quelque quinze jours, au lendemain d'une chronique consacrée au vocabulaire de l'école, par la perplexité d'une lectrice vigilante — pur pléonasme, il est vrai, dès lors que l'on parle de La Voix du Nord ! Reprenant une phrase de notre article dominical (« Tous les vocables maison se voient tour à tour convoquer à la barre de ce dictionnaire »), elle se demandait, non sans apparence de raison : « Ne fallait-il pas écrire convoqués, étant donné que le mot vocables n'est pas l'acteur du verbe convoquer ? »
Que nenni ! En tout cas, rien n'y oblige. L'auxiliaire du passif se voir est indifféremment suivi de l'infinitif ou du participe passé. On peut certes se voir, en rêve, franchir six mètres à la perche, et gageons que notre lectrice n'y aurait pas vu malice puisque, cette fois, la personne qui rêve est aussi celle qui franchit la barre. Mais on peut tout aussi bien se voir (en rêve toujours, mais là vous aviez deviné) accorder un rendez-vous en vue d'être prochainement vacciné. Vous nous direz que, dans un monde réel, vous vous entendrez plus souvent répondre que les doses ne sont pas arrivées, mais cela ne change rien pour la grammaire : ce n'est pas davantage vous qui répondez !
Combien de fois, d'ailleurs, dans la vie de tous les jours, un élève ne se voit-il pas reprendre par son maître ? un employé interrompre par son supérieur ? un dessinateur descendre par un maniaque de la kalachnikov ? Il suffit de convoquer les verbes du troisième groupe — lesquels, à l'oral, ne laissent planer aucune confusion entre participe et infinitif — pour s'apercevoir que celui-ci est aussi répandu, sinon plus, que celui-là. Et nul ne s'en plaindra car quand l'un, l'infinitif, met l'accent sur l'action en train de se dérouler, l'autre, le participe, le met plutôt sur le résultat de celle-ci. Avouez d'ailleurs que l'on aurait quelque difficulté à se voir descendu...
Elle n'est pas belle, cette langue qui vous permet de vous exprimer avec un maximum de précision ? C'est que le choix, ce n'est pas que de l'embarras !