Avec ces paronymes, on risque
à tout moment de prendre... perpète !

< dimanche 26 avril 2020 >
Chronique

Et si l'on profitait de la moindre occasion pour oublier le confinement ? Pour autant, ne triomphez pas trop vite : quand l'actualité nous offre un autre sujet, il est rare qu'il se révèle plus réjouissant...

Témoin la situation explosive dans certaines banlieues, laquelle nous a du moins permis d'entendre, dans la bouche d'un animateur omniprésent à la radio et à la télévision, que des actes de violence y ont été « perpétués ». Impossible, vu le cadrage, de déterminer si ce dérapage fort peu contrôlé a provoqué chez les quatre intervenants dûment espacés du mètre réglementaire un rictus de désapprobation, mais il est de toute façon peu probable qu'ils l'eussent laissé transparaître, soit qu'ils fussent bien élevés, soit que la chose ne les eût en rien choqués !

Il va de soi que ce perpétuer n'avait aucune raison d'être, puisque lesdits troubles venaient tout juste d'éclater dans ce que, pudiquement, on appelle aujourd'hui « les quartiers ». Or, le verbe en question ne se conçoit que pour quelque chose que l'on prolonge, que l'on fait durer. On « perpétue une tradition » en y sacrifiant, « le souvenir de quelqu'un » en lui érigeant un monument, « les espèces se perpétuent » en se reproduisant. C'est aussi lui — vous l'aviez deviné — que l'on retrouve, par le biais du substantif perpétuité, dans l'expression familière « être condamné à perpète ».

Notre animateur voulait plus sûrement dire perpétrer, lequel n'a rigoureusement rien à voir avec son faux jumeau. Il faut remonter cette fois au verbe latin qui signifiait « achever, accomplir ». Une mauvaise action, s'entend, car le bougre fait exclusivement dans le péjoratif : on « perpètre un crime », « un massacre ». Il peut certes arriver que l'on en use pour quelque chose de moins répréhensible, mais on est alors au second degré, comme quand un écrivain explique, par coquetterie, qu'il a « commis un nouveau roman », s'excusant presque d'encombrer davantage les rayons de ses lecteurs. On ne dira jamais assez les risques que font courir à l'usager ces mots que l'on nomme paronymes et qui se ressemblent... sans s'assembler le moins du monde !

Nous nous en voudrions pourtant de conclure cette chronique sur une note autre que rassurante ; vous pouvez avancer sans crainte que, décidément, les mauvais coups contre la langue française se perpètrent et se perpétuent. Là, c'est ceinture et bretelles !