Plus imprévisible
que la mode du grand couturier :
le mode du grammairien !
Il est un peu trop tôt pour supputer ce que sera l'efficacité du « grand débat national » que l'on sait. Mais, quoi qu'il arrive, ce dernier aura eu le mérite de nous inspirer quelques saines réflexions sur notre langue et sa syntaxe...
Un de nos lecteurs s'émeut notamment de cette question qu'il y a relevée, au chapitre de la fiscalité et des dépenses publiques : « Afin de réduire le déficit public de la France qui dépense plus qu'elle ne gagne, pensez-vous qu'il faut avant tout... ? » Et le même de s'interroger sur l'éventuelle nécessité, en pareil cas, d'employer le subjonctif : « qu'il faille avant tout ».
Bouchons-nous les oreilles pour ne point entendre les habituels sarcasmes sur ces questions de pure forme, lesquelles laisseront de marbre plus d'un gilet jaune, quand le fond est à nos portes ! Celle-ci n'en relève pas moins d'une rubrique ayant pour vocation d'éclairer la langue à la lumière de l'actualité. Elle nous permettra de surcroît de rappeler que, chaque fois qu'en français il est question du choix du mode, la lettre se doit de pactiser avec l'esprit.
Le subjonctif, en effet, se présentera des plus spontanément sur les lèvres du locuteur instruit des choses de la langue : à l'inverse d'un indicatif servant à énoncer des faits qui ne sont pas douteux, pour s'être déjà déroulés ou être appelés à le faire avec une quasi-certitude, le subjonctif est le mode de ce qui n'est qu'envisagé. On comprendra que toute forme interrogative, laissant par essence planer un doute sur la réalisation de l'action, y prédispose. Ce sera encore plus vrai de la négative, qui va jusqu'à nier ladite action !
La consultation des Tables de la loi grammaticale nous incite toutefois à la prudence. Si, après un verbe d'opinion comme penser, l'indicatif est bien obligatoire après une forme affirmative, le subjonctif n'est qu'une option dans les formes négative et interrogative. « Pensez-vous qu'il faudra revoter ? » est tout aussi correct que « Pensez-vous qu'il faille revoter ? » Ce dernier tour, moins neutre que le précédent, introduit seulement une nuance de doute supplémentaire, ce qui l'a peut-être fait écarter ici. Dans le climat actuel, mieux vaut ne pas laisser croire à ceux que l'on prétend consulter que la réponse est déjà dans la question !
À supposer, bien sûr, que nos bien-aimés dirigeants soient toujours au fait de ces subtilités linguistiques ! Mais on peut rêver, non ?