Quand le pléonasme en dit long
sur nos fantasmes égalitaristes...

< dimanche 11 mars 2018 >
Chronique

Chez ceux qui soutiennent l'offensive d'Emmanuel Macron contre les régimes spéciaux de retraite, l'argument qui est censé tuer est qu'il faut « mettre tout le monde sur un même pied d'égalité ».

Voilà une redondance qui ne date pas d'hier et dont on n'est pas près de venir à bout. Nous aurions presque mauvaise conscience à rappeler ici, tant cela a été dit, qu'il suffirait de « mettre sur un même pied », ou encore « sur un pied d'égalité ». Les deux en même temps, cela fait désordre : à qui n'apparaît-il pas, dès lors qu'il y réfléchit un instant, que même et égalité boxent dans la même catégorie, qui n'est certes pas celle des légers !

Passe encore que ce tour soit régulièrement relevé sur les lèvres de l'homme ou de la femme de la rue, que l'on interroge au débotté : que celui qui n'a jamais perdu ses moyens devant une caméra leur jette la première pierre ! Mais qu'Ouest-France titre avec « des animateurs sur un même pied d'égalité » ; que, selon Le Parisien, « les médiateurs mettent la victime et le bourreau sur un même pied d'égalité » ; que Le Monde lui-même voie dans le harcèlement « une relation dissymétrique entre deux protagonistes non situés sur un même pied d'égalité du fait du rapport hiérarchique » étonne davantage.

Plus qu'une simple maladresse d'expression, ne convient-il pas de soupçonner là un atavisme bien français, dans un pays qui a fait de l'égalité en question un des trois piliers de son islam à lui, le plus important sans doute parce que, d'assez loin, le plus difficile à atteindre ? Quand on lit, rapporté par Libération, le propos d'une traductrice qu'enthousiasme l'écriture inclusive, et où il est question d'une « langue neutre ou égalitaire qui permet de remettre tout le monde sur un même pied d'égalité », on se demande si le désir ne prend pas le pas sur la réalité, si la redondance, fût-elle inconsciente (et peut-être justement parce qu'elle l'est), ne se fait pas elle-même militante. En remettre une couche, c'est encore le meilleur moyen d'enfoncer le clou, de crier son espoir d'une société qui en aurait enfin fini avec ses différences. Ce serait le pied, non ? Le pied tout court.

D'aucuns, cela dit, se montreront plus terre à terre, se bornant à remarquer prosaïquement que ledit pied n'a jamais eu de chance. Il vous suffirait de compter sur la Toile le nombre de fois où notre piédestal est devenu « pied d'estale » !