« Portés disparus » :
les mots aussi se cachent pour mourir !

< dimanche 25 février 2018 >
Chronique

Chaque année, les médias se pâment à l'envi devant les quelque cent mots qui entrent en grande pompe dans le dictionnaire. En oubliant que, du même coup, ce sont cent autres qui en sortent, maquette intangible oblige...

Et de ceux-là on ne parlerait plus jamais si certains passionnés, à l'instar du « dicopathe » Jean Pruvost, ne les recensaient soigneusement, afin que la nostalgie pût demeurer ce qu'elle était. Témoin cet ouvrage, justement paru chez Larousse, lequel répertorie les vocables qui, entre le Nouveau Dictionnaire de la langue française de 1856 et le Petit Larousse illustré d'aujourd'hui, ont joué la fille de l'air...

Quel plaisir de retrouver là l'accortise, cette « humeur douce et complaisante » dont Molière avait doué ses soubrettes aux pigeonnants appas ; le dameret, l'« homme qui fait le beau auprès des dames » (mais attention, par ces temps qui balancent leurs porcs, point trop n'en faut !) ; cette lippitude qui, eût-elle tout pour plaire à Ségolène, avait moins à voir avec l'horlogerie qu'avec l'état chassieux des paupières ; les dents osanores qui tenaient à la gencive sans qu'il fût besoin de les fixer par des crochets (« os sans or ») ; cette robe de chambre très courte que l'on appelait pet-en-l'air et dont vous aviez peut-être déjà eu vent ; la ripopée que les cabaretiers tiraient de restes de différents vins ; ce dîner soupatoire qui eût réconcilié les chtis avec deux notions qu'ils ont toujours eu peine à distinguer ! Sans oublier ce venez-y-voir qui promettait surtout de ne pas valoir le déplacement, s'agissant d'une « chose insignifiante et sans valeur ».

C'est qu'il en va des mots comme des hommes : les uns et les autres sont en butte aux restructurations, aux plans sociaux, voire aux licenciements abusifs. L'univers du Larousse n'est pas moins impitoyable que celui de Dallas : il ne faut pas compter y décrocher un CDI ! Le calvaire du mot que l'on n'emploie plus n'a pas grand-chose à envier à celui du chômeur. C'est le même sentiment d'inutilité, de déréliction. La même sensation d'avoir été retiré d'un jeu qui continue sans vous.

La prochaine fois que l'on applaudira à l'arrivée, médiatiquement orchestrée, de quelques parvenus qui n'ont d'autre qualification que l'air du temps, ayons une pensée pour ces infortunés qu'à l'autre bout du dictionnaire on congédie.

Sans un mot.

 

Les Mots disparus de Pierre Larousse (éd. Larousse), introduction de Bernard Cerquiglini, présentation de Pierre Larousse par Jean Pruvost ; 224 p. 170 x 240 mm ; 14,95 € (broché)