Prononcer « Jésus-Christ »,
c'est aujourd'hui devenu
la croix et la bannière !
Si, à l'église, on l'a vu dimanche dernier, on ne s'adresse plus de la même façon au Père, le Fils a lui aussi changé. Sauf erreur de notre part, rien qui vienne d'en haut, cette fois, mais des habitudes qui évoluent...
Il y a peu encore, il ne serait venu à l'idée de personne de prononcer, dans Jésus-Christ, les deux consonnes finales. Ce « s » et ce « t », on les faisait sonner quand le mot Christ était employé seul (« la Passion du Christ », « Christ est Roi », « un christ d'ivoire »), mais jamais quand un trait d'union le liait à Jésus. Justifier cette bizarrerie n'est guère aisé. C'est que, bien souvent, les voies de la phonétique sont tout aussi impénétrables que celles du Seigneur ! Littré en tout cas ne nourrissait aucun complexe au moment d'écrire : « (krist' ; dans Jésus-Christ on prononce Jé-zu-kri ; des ministres protestants, à tort, prononcent Jé-zu-krist'). Quant aux continuateurs de son œuvre, ils iront jusqu'à expliquer que c'est à force de fréquenter Anglais et Allemands que les réformés se sont ainsi fourvoyés dans leur prononciation !
Comme à l'impossible un chroniqueur de La Voix du Nord se sent toujours tenu, il avancera ici une prudente hypothèse : l'effacement à l'oral des consonnes finales étant un phénomène aussi banal que connu en phonétique, ces deux-là auraient été rétablies a posteriori sur le modèle savant, mais sans affecter pour autant un Jésus-Christ perçu comme un tout indissociable, par essence moins perméable aux variations saisonnières ! On peut également imaginer que, si lesdites consonnes ont été maintenues à l'oral, ce fut pour éviter tout risque de confusion avec cet homonyme autrement vulgaire qu'était cri, risque qui ne menaçait pas Jésus-, pas plus d'ailleurs qu'un Antéchrist à la prononciation diablement incertaine, elle aussi.
Mais que se passe-t-il aujourd'hui dans les églises de France et de Navarre, votre serviteur l'a lui-même constaté pour les avoir hantées ces derniers temps, à des fins tant sociales que religieuses ? Dans la bouche de plus d'un officiant, Jésus-Christ a cessé, à son tour, de faire de la résistance : il y rime désormais avec n'importe quel christ, dût-il s'agir du crucifix qui se vend au kilo dans les échoppes lourdaises !
On nous dira, avec juste raison, que l'important est moins la façon dont on l'appelle que ce qu'il est. Mais c'est égal : le linguiste, pour sa part, n'a pas fini de porter sa croix...