N'en déplaise à Emmanuel,
les manifestations
doivent énormément à « manu » !

< dimanche 1er octobre 2017 >
Chronique

L'étymologie est si souvent à la rue qu'il nous a semblé opportun, aujourd'hui, de l'y faire descendre : quid de ce mot manifestation qui, par les temps qui défilent, colonise de plus en plus nos conversations ?

Pour ne rien rater du film, il faut remonter au participe latin manifestus, lequel, au XIIe siècle, serait à l'origine de tout. Si, de l'aveu d'Alain Rey lui-même, la seconde partie du vocable pose plus de questions qu'elle ne donne de réponses (radical fen qui voudrait dire « toucher » ?), la première fait l'unanimité : on ne peut que voir sous ce mani la patte de la main (manus, en latin). Ce qui est « manifeste » est donc ce qui peut être touché de la main. C'est vous dire si le fait est palpable, tangible (au sens premier du terme !), et donc concret, indéniable. Tout autre chose qu'une vue de l'esprit...

À tout Seigneur, tout honneur : à cette époque où Dieu était partout et même ailleurs, on ne s'étonnera guère que la « manifestation » ait été d'abord religieuse : elle s'est tout naturellement appliquée à la révélation, à l'apparition du Christ, bien avant que le mot ne se laïcise et finisse, plus modestement, par signifier « montrer, indiquer ». De façon incontestable, toujours, mais dans des domaines autrement profanes.

Cela dit, il s'agissait, jusque-là, de manifester quelque chose (en général ses opinions, ce que traduira, au XVIIe siècle et dans la sphère artistique en particulier, le nom manifeste) ou de se manifester... soi-même. Rien de commun encore avec ces manifestations d'aujourd'hui qui vont de Bastille à Nation ! Il faudra attendre les grandes luttes sociales du milieu du XIXe siècle (l'enterrement du populaire Béranger, notamment) pour que le verbe se découvre une vocation intransitive et que le nom prenne le sens de « démonstration collective et publique de protestation ». Notre « manif » était née !

Avant la lettre, du moins, car il s'écoulera un siècle de plus avant que l'apocope (cette abréviation des plus familières qui ne conserve que le début du mot) ne voie le jour à son tour. À en croire nos dictionnaires, ce serait en 1952 qu'on aurait songé à le raccourcir de la sorte, histoire, sans doute, de le faire rimer avec festif. Pour l'actuel président de la République et ceux qui l'ont précédé, il semblerait que ce fût plutôt avec improductif et subversif ! Tout sauf kif-kif...