Après le soldat Ryan,
il faut sauver « Les Feux de l'amour » !

< dimanche 15 janvier 2017 >
Chronique

La France a peur : le célèbre feuilleton retrouvera-t-il bientôt sa place de toujours dans la grille des programmes, au début de l'après-midi ? Mine de rien, c'est là un problème de santé publique : nos siestes sont en danger...

S'il est en effet un programme qui n'a rien à craindre de la somnolence postprandiale, c'est celui-là : tel le boa constricteur, l'intrigue y déroule ses anneaux avec une telle lenteur que nous pouvons sans remords tomber dans les bras de Morphée pour en reprendre le fil une demi-heure après, comme si rien ne s'était passé, ce qui est d'ailleurs le cas. Il faut bien ça quand on amuse le tapis depuis quarante-quatre ans et quelque onze mille épisodes !

On reconnaîtra au titre français, infiniment plus poétique que l'anglais (The Young and the Restless, soit « Les Jeunes et les Agités »), le mérite de souligner la place qu'occupe la métaphore du feu dans la peinture de la passion. Qu'elle a occupée, surtout, chez nos classiques, notamment dans les tragédies d'un certain Racine. On y voyait par exemple une Phèdre s'emporter contre les feux redoutables de Vénus, brûler d'un amour coupable pour son beau-fils Hippolyte, déplorer cette ardeur fatale (ardere était la façon latine de « brûler ») avant de déclarer sa flamme à l'intéressé. C'est que les héroïnes d'alors se consumaient littéralement sous l'effet de leur passion, s'embrasaient même pour l'objet de leurs vœux incestueux. Leurs regards étaient de braise, leurs yeux jetaient des éclairs qui ne sont pas sans nous rappeler les coups de foudre de nos amours autrement prosaïques. Le moins extraordinaire n'étant pas que, parfois, cet incendie intérieur les glaçait tout autant qu'il les réchauffait : n'est-ce pas Phèdre encore qui décrit ainsi sa première rencontre avec Hippolyte : « Je sentis tout mon corps et transir et brûler » ? Rêvé pour attraper un chaud et froid ! Mais n'en a-t-on pas retenu, quand on prononcerait l'adjectif de façon peu orthodoxe, l'image de l'« amoureux transi » ?

Il faut sauver Les Feux de l'amour. Ne fût-ce que pour nous convaincre que, si la passion est restée la même, nous n'avons guère progressé dans la façon de la décrire. Aujourd'hui, entre les téléspectateurs et la direction de la chaîne, il n'y a plus que le torchon pour brûler.