C'est le jour ou jamais
de se le demander :
depuis quand crèche-t-on ?

< dimanche 25 décembre 2016 >
Chronique

Autant le dire tout de suite, ce n'est pas vieux comme Hérode : au risque d'en surprendre plus d'un, le verbe crécher a un siècle tout au plus... C'est dire s'il lui a fallu du temps pour quitter l'étable originelle !

Encore faut-il ici remettre les choses à leur vraie place : au commencement n'était pas l'étable, mais... l'auge. La crèche — n'en déplaise à la Provence qui, par le biais de ses pittoresques santons, en a fait son fonds de commerce — nous vient plutôt, moyennant quelques variantes locales, des langues septentrionales et désignait en effet la mangeoire des bestiaux. C'est dans l'une d'elles, on le sait, que fut installé, à Bethléem, le divin enfant. Et ce n'est donc que beaucoup plus tard, quelque six siècles, que la métonymie (ce procédé par lequel, selon la lumineuse définition de Robert, « on exprime un concept au moyen d'un terme désignant un autre concept qui lui est uni par une relation nécessaire ») a fait son œuvre. De la partie que représentait ladite mangeoire, on est passé au tout qui l'entourait, c'est-à-dire aux murs et au toit de l'étable. La porte (à supposer qu'il y en eût une) était alors ouverte à l'acception que nous connaissons, à savoir la représentation en trois dimensions de la Nativité dans les églises, entre Noël et l'Épiphanie.

Évidemment, il ne pouvait être question de s'arrêter en si bon chemin. À la fin du XVIIIe siècle, et par analogie cette fois, on crut bon de baptiser ainsi — quand il y en a pour un jésus, il y en a pour plusieurs — l'asile de nouveau-nés. Puis, cent ans plus tard, cet établissement, ô combien providentiel pour nombre de parents d'aujourd'hui, dans lequel on dépose quotidiennement son très jeune enfant.

Mais l'analogie a plus d'un chemin sur sa carte et le côté spartiate des lieux devait finir, lui aussi, par essaimer : la paillasse initiale allait bientôt se transformer, au début du siècle dernier, en « gîte misérable », pour perdre peu à peu cette nuance péjorative et devenir une simple chambre. Le verbe crécher n'avait plus qu'à s'installer dans ses meubles, et ce serait chose faite vers 1920.

Tout ce qui précède ne doit pourtant pas conduire les bons Samaritains que nous sommes, fût-ce par souci d'humanité, à coiffer la crèche d'un toit, autrement dit d'un accent circonflexe : en l'espèce, le chalet a déjà suffisamment donné, et pour les mêmes raisons !