Nouvelle orthographe :
cachez ces « appâts »
que nous ne saurions voir !
Mais qu'est-ce qu'elle avait, leur gueule ? L'« ognon » fait pleurer dans les chaumières, l'« exéma » donne des boutons à plus d'un. Ils ne sont pourtant pas les seuls à être nés du bistouri des réformateurs, tant s'en faut.
En effet, les Rectifications de 1990 ne se sont pas bornées à aligner la bonhomie sur le bonhomme, la cahute sur la hutte, le chariot sur la charrette, l'imbécillité sur l'imbécile, la boursouflure sur la soufflure, le persiflage sur le sifflement, le relais sur le délai, le levraut sur le lapereau, le cuissot sur le cuisseau (un certain Mérimée se sera retourné dans sa tombe)... Pour qui aime la logique, rien que de très défendable après tout. Reste à savoir si le Français l'aime ! Claude Weill en doutait ouvertement dans Le Nouvel Observateur : « Ce qu[e le Français] aime dans la règle, c'est l'exception (il n'y a pas de loi en France qui ne souffre d'exceptions ; on n'a jamais créé un impôt en France sans prévoir en même temps des exemptions) ! »
On s'est aussi attaqué aux finales de quincaillier, de joaillier et de serpillière, dont les « i » intempestifs ont trop longtemps insulté à celles de poulailler et crémaillère. Parce que chez ces gens-là, monsieur, on ne veut voir qu'une seule tête ! À tous les mots en -olle, encore : a-t-on idée de cette barcarolle qui ne rime pas avec gondole ? Le monde ne sera-t-il pas plus chou quand il se sera réglé sur la profiterole ? Mais, au fait, pourquoi s'être arrêté en si bon chemin, en oubliant les finales en -ot(t)e ? Pourquoi deux « t » à bougeotte et un seul à tremblote ? La gibelotte aux échalotes, est-ce bien raisonnable ? Fait-on vraiment preuve de jugeote en puisant dans sa cagnotte pour s'offrir une redingote ? À cette aune, on n'a pas fini de réformer !
Mention spéciale pour ces appas féminins qui, après avoir fait les beaux jours des accortes soubrettes de Molière, se voient ravalés au rang de simples appâts. Il est possible que cet ancien pluriel ne se justifie pas plus qu'enfans et parens, opportunément retouchés par l'Académie en 1835. Mais ce que la logique condamnait, la poésie me semblait le justifier. André Goosse reconnaît lui-même que « ramener les attraits du corps féminin à l'esche des pêcheurs ne manque pas de gêner un galant homme. » Il nous l'enlève (le téton !) de la bouche. Pourquoi l'avoir fait, alors ?
La langue est décidément chose trop sérieuse pour qu'on la confie aux seuls linguistes...