Contre les à-peu-près
d'une société négligente,
conjuguons nos efforts !

< dimanche 8 novembre 2015 >
Chronique

« Je vus, tu vus, il vut, nous vûmes, vous vûtes, ils vurent. » On a beaucoup parlé, il y a peu, de la façon originale dont la maison Magnard conjuguait le verbe voir au passé simple, dans un de ses manuels scolaires...

C'est même la quasi-totalité du landerneau médiatique qui a fait des gorges chaudes de ce dérapage inqualifiable. Quoi ? mettre entre des mains innocentes et pures, avides de savoir qui plus est, de semblables horreurs ? N'y a-t-il pas là, pour nos chères têtes blondes, de quoi perdre un latin qui, soit dit en passant, est déjà perdu ? Et chacun, quotidien national, chaîne d'information en continu, site Web, de se draper dans une vertueuse indignation, s'étonnant de bonne foi que l'on ait pu tomber si bas...

La chute ne date pourtant pas d'hier, et l'on est fondé à se demander si, en l'espèce, ce n'est pas l'hôpital qui se moque de la Charité. Car enfin, le cas est-il si pendable ? Voilà belle lurette que ce passé simple, jugé par trop compliqué, ne s'apprend ni ne s'enseigne plus guère. Plus personne ou presque ne sait le conjuguer, il suffisait de lire Marianne la semaine dernière pour s'en rendre compte : « Le 8 février 1992 (...), l'ancien footballeur était le dernier porteur de la flamme olympique. Un honneur qu'il assumat (sic) sans enthousiasme... » Voilà longtemps encore que ce passé simple a déserté la littérature pour la jeunesse, avantageusement remplacé par le débonnaire présent de narration : ce que l'on ne se sent plus capable d'enseigner, on l'élude, c'est la devise des sciences de l'éducation moderne ! Alors... Que, dans un livre que peu ouvriront, un tableau qu'ils seront encore moins à consulter pète un câble, il n'y a pas de quoi fouetter un élève de quatrième, lequel réinvente chaque jour la grammaire au gré de ses SMS...

Fouetter une société, peut-être davantage... Car qui ne verrait que l'on récolte là les fruits d'un laxisme qui va bien au-delà de nos seuls manuels scolaires ? Tant que les correcteurs (nous parlons des humains, les seuls qui vaillent au fond) seront traités comme quantité négligeable, aussi longtemps que les impératifs économiques prendront le pas sur la recherche — forcément patiente — de la qualité, on s'exposera à de telles déconvenues. Mais à ce rythme, ce n'est plus seulement le passé, c'est l'avenir qui promet de n'être pas simple...