Et soudain Gravelines entra
dans l'histoire de la langue française...

< dimanche 25 octobre 2015 >
Chronique

Il eût été étonnant que la déconfiture du rugby français, l'autre samedi, ne nous retombât pas sur le râble ! Ce fut l'affaire de quelques minutes, le temps, pour l'envoyé spécial d'I-Télé à Cardiff, de s'emparer du micro.

Qu'Olivier Le Foll ironisât sur les soixante-deux points que venaient de nous infliger les Néo-Zélandais, on s'y attendait. Qu'il rappelât combien on s'était ennuyé sous le règne du sélectionneur Philippe Saint-André, on l'aurait parié. Qu'il s'attendrît devant la détresse de ceux qui s'étaient saignés aux quatre veines pour traverser la Manche et se procurer ce qui devait finalement se révéler un billet pour l'enfer, c'était dans l'ordre des choses. Ce que nul n'imaginait, c'est qu'au comble du désespoir le journaliste, pour souligner que nos Bleus avaient succombé sous une orgie d'essais, s'exclamerait tout à coup : « C'est tombé comme à Gravelines ! »

Vous nous direz que le Nord est depuis toujours réputé pour ses draches et que, partant, on n'en est plus à une près : après tout, Gravelines n'est pas si loin de Bergues, une ville où chacun sait qu'il pleut comme facteur qui pisse ! Mais de là à la substituer à Gravelotte, il y avait un pas que même des All Blacks renversant tout sur leur passage auraient probablement hésité à franchir...

Est-il besoin de rappeler ici que c'est Gravelotte, petite commune de la Moselle, qui a, pour l'éternité, vu son nom associé à une tuerie d'exception — six mille morts, trente-deux mille blessés ! S'y sont en effet étripés, durant la guerre de 1870, Français de Bazaine et Prussiens de von Moltke. Cette bataille a donné lieu à un tel déluge d'obus qu'est devenue proverbiale (mais pas encore assez, apparemment !) la locution « tomber comme à Gravelotte ». L'étymologiste précise d'ailleurs qu'elle ne vaut pas seulement pour la pluie, mais pour « diverses choses (généralement non souhaitées) qui se succèdent rapidement, comme des statistiques indésirables, par exemple ».

Ou comme des essais...

On ne sait si Gravelines portera plainte pour atteinte à son image. Ce qui est sûr, c'est qu'il ne faudrait point trop laisser la bride sur le cou à ces bonnes gens d'I-Télé. À quoi ne doit-on pas s'attendre, sinon, dans les semaines à venir ? « Wattrelos, morne plaine » ? « Hazebrouck s'en va-t-en guerre » ? « Il ne faut pas désespérer Ostricourt » ? On tremble...