Quand le... vingt est tiré, il faut,
sinon le boire, du moins en parler !

< dimanche 14 juin 2015 >
Chronique

Parce que voilà deux décennies, quasi jour pour jour, que je vous entretiens d'orthographe et de langue française, cette chronique sera consacrée à quelques particularités, connues ou moins connues, du numéral vingt.

D'abord, un rappel : il n'y a que nous, les chtis, pour faire claquer le « t » de vingt ! S'il est là depuis toujours — à la différence du « g » qui précède, lequel ne doit d'être présent qu'à une réfection savante sur le modèle du latin viginti —, il se manifeste seulement en liaison, devant un mot commençant par une voyelle ou un « h » muet. Sinon, circulez, il n'y a rien à entendre !

Autre rappel : vingt est, avec cent mais bien moins souvent que lui, un des rares adjectifs numéraux fondés à prendre la marque du pluriel. Il suffit pour cela qu'il soit multiplié. Mais si l'on veut bien oublier l'exception des Quinze-Vingts, cet hôpital parisien qui s'occupe plus particulièrement d'ophtalmologie et porte ce nom en souvenir des trois cents lits (15 x 20) que comportait l'hospice médiéval des origines, cela ne se produit guère qu'après quatre. Encore faut-il que ne suive pas un autre adjectif numéral, auquel cas le « s » s'efface : « quatre-vingts », mais « quatre-vingt-un » ! Et que l'intéressé ne soit pas davantage employé en tant qu'ordinal : on écrira alors, et en dépit du fait que vingt est multiplié, la « page quatre-vingt », les « années quatre-vingt » ! Elle n'est pas subtile, la langue française ?

Il resterait à expliquer l'intrigante présence de ce vingt-là dans le juron « Vingt dieux ! » Est-ce le simple fait de multiplier les dieux qui, dans une religion monothéiste, relève en soi du blasphème ? Ou, comme le croient d'aucuns, avons-nous ici affaire à une déformation, le numéral s'étant substitué, sans qu'on sache pourquoi, à l'adjectif vains ? L'irrévérence serait alors plus marquée, puisque ce serait insinuer que les dieux sont inutiles, en tout cas impuissants à changer le cours des choses qui nous écrasent...

Sont-ils seulement à même, ces « vains dieux », de me promettre vingt ans de plus en votre compagnie ? J'en doute fort, mais si par extraordinaire ce devait être le cas, je me ferais une joie de vous parler, en 2035, de l'an... quarante. Comme dirait Arthur, je veux bien qu'on rigole, mais je ne veux pas qu'on se moque !